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Sosipatra le voile dont elle s’enveloppait pour participer à la science sacrée, des instrumens d’astrologie et quelques livres précieux. Comment étaient-ils partis, nul ne le sut jamais. Le père de Sosipatra, reconnaissant bien que l’inspiration divine était en elle, la laissa vivre à son gré, cédant à tous ses désirs et surpris seulement de ses habitudes silencieuses. Parvenue à sa pleine fleur, la jeune fille, sans jamais avoir eu d’autres maîtres que les deux vieillards, possédait à fond les poètes, les philosophes, les orateurs. Sans travail, sans effort, elle résolvait les difficultés et éclaircissait les questions obscures comme en se jouant. Ayant résolu de se marier, elle choisit Eustathe, le seul homme qui fût digne d’elle. Le jour des noces, en présence de ses parens, elle prophétisa en ces termes : « Écoute-moi, Eustathe, et aussi vous tous qui êtes ici, écoutez-moi. Tu auras de moi trois enfans auxquels seront refusés tous les biens terrestres et accordés tous les biens du ciel. Tu quitteras la terre le premier pour t’élever à une demeure brillante que tu auras méritée ; le séjour où je monterai plus tard sera peut-être meilleur encore… Dans cinq ans, tu auras cessé de te livrer au culte divin et aux travaux philosophiques… Voilà le destin que je lis sur ton visage… J’en pourrais dire davantage ; mais mon génie me le défend. » Et ces prédictions, continue Eunape, furent trouvées véritables. Eustathe mourut en effet cinq ans après. Devenue veuve, Sosipatra alla enseigner à Pergame à côté d’Édésius, le maître de Julien. On admirait l’éloquence d’Édésius, mais on était ravi par l’enthousiasme divin et la parole inspirée de Sosipatra.

Voilà en raccourci l’image exacte de la société païenne telle que la faisait, en ces jours de décadence, la religion grecque interprétée, arrangée et aussi égarée par l’influence du néoplatonisme théurgique de Jamblique et de son école. Rien ne manque à ce récit, ni les miracles, ni les prédictions, ni la divination, ni la crédulité sincère du narrateur. Et, ce qui est remarquable, à côté de cet attachement aux rites antiques, Eunape nous laisse voir la désillusion des thaumaturges païens et le néant de leurs espérances. Antoninus, l’un des fils de Sosipatra, prophétise la chute prochaine du culte qui a sa foi, et sa foi reste inébranlable. C’est que ce culte était à leurs yeux l’âme d’une civilisation ; ils s’efforçaient de conserver ce culte comme le mourant se prend d’un redoublement d’amour pour la vie qui va lui échapper.

Là principalement doit être cherchée l’explication de l’événement le plus étrange à coup sûr de l’histoire de l’empire, je veux dire la restauration du polythéisme par Julien. Cet empereur a été longtemps et fort naturellement un objet de répulsion et de haine ; mais la passion et la colère ont pris à son égard trop de licence. Déjà, au milieu du XVIIIe siècle, un savant estimable, un prêtre,