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plus sacré que la royauté, et la fureur brillait dans leurs regards quand on leur disait que la France avait proscrit le Dieu pour lequel leurs pères avaient combattu et souffert.

Un homme tel que Fabricio Ruffo, cardinal-diacre de l’église romaine, devait tirer le meilleur parti de ces dispositions. Ce fils cadet du duc de Baranello fut assez habile pour exploiter la colère des Albanais. Son caractère violent n’était pas un défaut pour ces populations impétueuses. Sa bravoure et son énergie étaient de nature à plaire à des hommes qui regardent le mépris de la mort comme la première des qualités. Ses mœurs, assez légères, ne semblaient pas étranges chez un soldat. Aussi, lorsque le cardinal relevait à Bagnara le drapeau blanc des Bourbons (mars 1799), les paysans albanais s’empressaient-ils d’accourir à sa voix. Quant aux nobles, ils étaient assez irrités des décrets de la république française contre l’aristocratie. Tous combattirent les Français avec une bravoure vantée par le général Duhesme[1], et ils contribuèrent puissamment à la restauration ; mais les agens du terrorisme absolutiste qui n’avaient pas suivi le cardinal sur les champs de bataille se hâtèrent de compromettre sa victoire par des excès de toute espèce. ! En vain Ruffo. voulut-il s’opposer à la funeste politique des sanfédistes. Appuyé par lord Hamilton et sa trop célèbre compagne, par Acton, le parti réactionnaire fit peser sur tout le pays une terreur dont il n’a pas perdu le souvenir.

L’historien napolitain Colletta a, nous le savons, donné du célèbre cardinal un portrait un peu différent de celui que nous traçons ici[2] ; mais cet écrivain, fort exact sur le terrain des faits généraux, cède souvent à ses antipathies personnelles quand il s’agit d’apprécier les individus. Loin d’obéir à une fureur fanatique, Ruffo, qui à Rome avait déjà pris sous Pie VI une attitude assez indépendante, fit en 1798 d’inutiles efforts pour empêcher la cour de Naples de déclarer la guerre à la république française. La camarilla redoutait tellement son influence sur l’esprit du roi, fort capable, malgré son ignorance, de goûter les conseils d’un homme de beaucoup d’esprit, qu’on le chargea de soulever les provinces continentales plutôt pour s’en délivrer que par zèle pour la monarchie. Tout porte à croire qu’il voulait persévérer dans l’esprit de modération dont il s’était montré animé ; mais comment aurait-il pu contenir « l’armée de la sainte foi, » composée en partie de gens sans aveu, de brigands et même de forçats déchaînés, et qui avait des chefs tels que Michèle Pozza (Fra Diavolo) et l’anthropophage Gaetano Mammone ?

  1. Précis historique de l’infanterie légère, t. III, p. 21.
  2. Histoire du royaume de Naples depuis Charles VI jusqu’à Ferdinand IV, Hv. Liv. IV, p. 15.