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ce que les Albano-Italiens appellent la « langue des colonies. » Il a respiré aussi ce souffle enthousiaste d’indépendance qui est le trait distinctif de la race albanaise ; son petit poème Vale garens madhe, publié après la proclamation de la constitution napolitaine en 1848, est un hymne à la liberté des plus remarquables et rappelle le chant du comte Solomos que M. Fauriel a fait connaître en France[1]. M. de Rada, dont la docte Allemagne a traduit et commenté une partie des œuvres (voyez Stier, Hieronymi de Rada carmina, Brunswick, 1856), a publié des poésies imitées des chants populaires. Le mouvement que ces poètes ont commencé se développe, et un réveil significatif se produit parmi les Albanais de la péninsule italique ; en Sicile, les signes de vitalité intellectuelle ne manquent pas non plus. On ne peut citer les noms et les œuvres de tous ces représentans de l’idée et des mœurs albanaises, Giuseppe Masci, Niccolò Iéno de’ Coronei, Camarda. Tous, dans des genres différens et à des titres divers, ont affirmé une fois de plus l’homogénéité que la race albanaise a su conserver en Italie au milieu de populations exclusivement italiennes.

On s’est préoccupé davantage du rôle politique joué par les Albanais pendant les révolutions de la péninsule italique ; mais la littérature de ces peuples et leur conduite politique doivent être étudiées simultanément et s’expliquent l’une par l’autre. Voyons donc quelle a été leur histoire politique depuis 1789. Lorsque la révolution française pénétra dans l’Italie méridionale, sauf quelques localités qui avaient des rapports avec les étrangers, le pays ne se rendait aucun compte de ce grand mouvement de 1789 qui commençait à transformer la société latine. Les Albanais particulièrement, plus séparés que les autres des influences extérieures, ne connaissaient la révolution que par les excès et les folies qui ne tardèrent pas à la compromettre. Ils savaient qu’une sanglante dictature, succédant à l’antique absolutisme, avait remplacé le régime arbitraire par le despotisme démocratique. La mort de Louis XVI et la proscription du christianisme avaient surtout fait une forte impression sur leur vive imagination. Les Bourbons, fidèles en cela à la politique de leur maison, les avaient défendus contre les barons féodaux. Protégés dans leurs villages, les Albanais d’Italie trouvaient un moyen de satisfaire leur humeur belliqueuse en servant dans le Royal-Macédonien, régiment célèbre dont le nom rappelait les règnes de Philippe et d’Alexandre, une des phases les plus glorieuses de leur histoire[2]. Le christianisme était pour eux encore

  1. Sur le comte Solomos, voyez la Revue du 1er mars 1858.
  2. Voyez Cenno storico dei Servigi militari prestati nel regno delle Sicilie dai Albanesi, etc. Corfou 1843.