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Il resterait probablement peu de traces des cérémonies, de la langue et des traditions nationales des Albano-Italiens, si ceux-ci n’avaient pas obtenu de Charles III la fondation d’établissemens spéciaux consacrés à l’instruction de leurs enfans. Tels furent le collège de San-Benedetto-Ullano (transféré sous Ferdinand IV au monastère de San-Adriano à San-Demetrio) et le collège de Palerme. On créa aussi des évêques du rite oriental : en 1713, Felice Samuele Rodotà reçut le titre d’archevêque et s’installa dans la Calabre citérieure. En 1784, George Stasi, recteur du collège de Palerme, fut élevé à l’épiscopat. Les deux collèges de San-Adriano et de Palerme ont formé des hommes dont le souvenir n’a pas péri dans l’Italie méridionale. Il suffit de nommer l’éminent philologue Pasquale Baffa de Santa-Sofia, qui fut une des victimes de la sanglante réaction absolutiste de 1799. Un prêtre, Giulio Variboba, composa le premier ouvrage albanais qui ait été imprimé dans les établissemens fondés en Italie par les émigrés venus de l’Albanie orientale. En adaptant la rime à la poésie albanaise et en choisissant un sujet religieux, il se rendit tellement populaire que le peuple ne tarda pas à préférer les vers de la Vie de la Vierge même aux chants apportés de la terre natale. On trouve dans les vers de Variboba, quand il ne traduit pas un texte latin, un vif reflet de la vie albanaise à cette époque, une inspiration naïve et vraie.

L’évêque Bellusci, qui fut chargé de la direction du collège de San-Adriano pendant près de vingt-trois ans (1801-1823), contribua beaucoup à redonner de l’éclat aux traditions nationales. Grâce à lui, toute famille albanaise eut à sa tête un homme instruit, résultat fort extraordinaire pour l’époque et pour la contrée. Parmi les élèves qu’il a formés, il faut compter MM. Luigi Petrassi, Vincenzo Dorsa et Guglielmo Joai. M. Petrassi a traduit en albanais le premier chant de Child-Harold ; M. Dorsa a publié des Ricerche e Pensieri su gli Albanesi, et M. Joai a recueilli les souvenirs du premier établissement albanais en Italie. Citons encore M. Angelo Basile, M. D. Mauro[1], fils d’un Italien et d’une Albanaise, le frère Antonio Santori de Santa-Caterina et M. Girolamo de Rada, — le premier, auteur de la tragédie Inez di Castro et d’un recueil de chants populaires, — le second, de la cantica sur Agesilao Milano, qui, bien qu’écrite en italien, semble d’un bout à l’autre inspirée par l’implacable esprit de la vieille Albanie. Le père Antonio Santori est un représentant plus complet de la culture albanaise, puisqu’il a écrit dans

  1. M. Mauro fut en 1848 le principal auteur de l’insurrection des Calabres, et après un long exil à Turin il a pris part à l’insurrection des mille.