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chef maronite y eût d’autant moins réussi qu’en barrant le passage aux troupes de Davoud-Pacha, ils entendaient le barrer aussi à ses collecteurs, qui seraient venus à la suite réclamer quatre années d’impôt. Ce qui achevait d’assigner bon gré, mal gré, à la rentrée de Youssef-Beg un caractère insurrectionnel, c’est la véritable procession de visiteurs musulmans, métoualis et druses qui accouraient pour le féliciter d’avoir rompu son ban, et qui, ayant tous plus ou moins eu maille à partir avec les Caram dans les petites guerres féodales de jadis ou dans la grande scission nationale des derniers vingt ans, ne venaient visiblement saluer dans le cheik chrétien que le représentant bien connu des défiances indigènes. De son côté, Davoud-Pacha ouvrait avec affectation les bras à celui qu’il appelait son fils égaré, son collaborateur naturel dans l’œuvre d’organisation nationale. Il se rapprocha même à ce propos du patriarche maronite par une démarche spontanée qui tranchait singulièrement sur la raideur moitié jalouse, moitié dédaigneuse, avec laquelle, depuis trois ans, il repoussait toute proposition d’avances à ce prélat[1]. Le patriarche, dont l’hostilité, même silencieuse, aurait donné à l’opposition de Caram plus d’unité et d’ensemble qu’on ne le désirait pour le moment à Beit-ed-Din et à Constantinople, accepta de bonne grâce le rôle de médiateur ; mais, en même temps qu’il prenait ainsi ses mesures pour mettre d’avance Caram dans son tort, Davoud-Pacha s’arrangeait de manière à lui rendre impossible l’adhésion sollicitée. Le détachement turc qui avait apparu comme de passage à l’entrée du Kesraouan s’y installait à demeure. L’effectif de la milice restait à un chiffre dérisoire, qui, grâce au surcroît de subvention accordé par le nouveau règlement, n’avait plus pour excuse des difficultés pécuniaires. Ces deux faits trouvaient un commentaire significatif dans la décision prise par le gouvernement turc de construire pour son compte un blokhaus sur la route de Damas, bien que, d’après une stipulation formelle des deux règlemens, les troupes ottomanes ne fussent chargées de garder les routes de Damas et de Tripoli que provisoirement et en attendant l’organisation de la force indigène. Même lors de ses maladroits compromis de 1860, quand il donnait si en plein dans le jeu du commissaire ottoman ? Caram n’avait jamais transigé sur la question des troupes turques, et le souvenir de ses déceptions, le secret désir de

  1. Le patriarche maronite ne lui cédait pas en raideur, et la politique n’était pas, dit-on, le principal mobile des susceptibilités du prélat. La bienséance orientale exige que, dans toute lettre, les lignes soient d’autant plus obliques que le destinataire a un rang plus élevé. Or le hasard voulut que la première dépêche adressée par Davoud-Pacha au patriarche fût écrite par un secrétaire du rite grec, et celui-ci, soit malice, soit hostilité naïve contre le chef d’une église rivale, gâta les choses. Au grand scandale du Kesraouan tout entier, les lignes de cette dépêche se rapprochaient, vérification faite, de l’horizontale de sept ou huit degrés de plus que ne le permettait le décorum.