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nègre, s’avance en jaquette de soie verte, coiffé d’une sorte de bonnet barbare surmonté par un énorme plumet rouge ; imaginez sous ce repoussoir l’effet d’un teint de suie éclairé par trois petites lumières, l’une sur l’œil, l’autre sur les dents blanches, l’autre sur la perle de l’oreille. Le second, gros potentat, bien nourri et chauve, s’étale dans une vaste robe de soie jaune à ramages d’or. Le troisième, un vieux guerrier tout en rouge, l’épée au côté et debout, ose à peine approcher sa rude barbe grisonnante du bout des pieds du petit enfant. — Il est clair que tous ces peintres copient avec une joie sincère les pompes et les fêtes environnantes ; la pédanterie ne vient point les brider ; leurs tableaux leur viennent par le jaillissement d’un libre instinct, non par les combinaisons de préceptes académiques. A cet égard, un Moïse sauvé des eaux, par Bonifazio, serait plaisant, s’il n’était splendide. Heureusement personne ne songe ici à Moïse : la scène n’est qu’une partie de plaisir près de Padoue ou de Vérone pour de belles dames et de grands seigneurs. On voit des gens en beau costume du temps sous de grands arbres, dans une large campagne montagneuse. La princesse a voulu se promener et a emmené tout son train : chiens, chevaux, singes, musiciens, écuyers, dames d’honneur. Dans le lointain arrive le reste de la cavalcade. Ceux qui ont mis pied à terre prennent le frais sous les feuillages ; ils se donnent un concert ; les seigneurs sont couchés aux pieds des dames et chantent, la toque sur la tête, l’épée au côté ; elles, rieuses, causent en écoutant. Leurs robes de soie et de velours, tantôt rousses et rayées d’or, tantôt glauques ou d’azur foncé, leurs manches bouffantes à crevés font des groupes de tons magnifiques sur les profondeurs de la feuillée. Elles sont de loisir et jouissent de la vie. Quelques-unes regardent le nain qui donne un fruit au singe, ou le petit nègre en jaquette bleue qui tient en laisse les chiens de chasse. Au milieu d’elles et plus fastueuse encore, comme le premier joyau d’une parure, la princesse est debout ; un riche surtout de velours bleu fendu et rattaché par des boutons de diamans laisse voir sa robe feuille-morte ; la chemise pailletée de semis d’or avive par sa blancheur la chair satinée du col et du menton, et des perles s’enroulent avec de molles lueurs dans les torsades de ses cheveux roussâtres.

Tout cela languit auprès d’une ébauche de Velasquez, largement faite avec quelques taches informes de couleur. C’est un buste de moine mort, grand comme nature, d’une vérité effrayante et sublime. Il n’est pas mort depuis longtemps, la face n’est pas encore terreuse, mais les lèvres sont pâles et les yeux lourdement clos ; la raideur du cou casse l’étoffe brunie. Rien d’idéal ; la tragédie réelle suffit et au-delà ; un coup de soleil tombe sur ce masque vulgaire,