Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ornemens de l’édifice ; mais la structure et les grandes formes maintiennent à l’ensemble la naïveté sévère, la vive originalité de l’invention primitive, et on a le plaisir de contempler une créature architecturale saine, d’une espèce distincte, et qu’on ne trouve nulle part ailleurs.

Quand on cherche sur les autres églises semblables à démêler le type régnant, on y trouve les deux pignons superposés qui sont à Pise et à Sienne et les clochers aigus, qui manquent à Pise et à Sienne. Cet assemblage est unique : au-dessus des murs pleins et des lignes élégantes, ces clochers, presque noirs et recouverts d’écailles rouillées, hérissent sur l’azur du ciel leurs pointes ferrugineuses ; on dirait des restes de carcasses fossiles. Quelquefois des couvées de clochetons se serrent autour du cône central ou se perchent de toutes parts sur les crêtes et les angles des toitures ; le ton rougeâtre des briques dont l’édifice est bâti ajoute à l’étrangeté de leur forme âpre et fauve. C’est une végétation unique, comme celle d’une pomme de pin effilée et lentement incrustée d’ocre charbonneuse. Elle est propre à ce pays. Entre l’arcade romaine qui disparaissait et l’ogive gothique qui s’ébauchait, elle a rassemblé autour d’elle pendant deux ou trois siècles les sympathies des hommes. Ils l’ont trouvée à leur premier pas hors de la vie sauvage, et vingt traits rendent sensible la barbarie d’où ils sortaient. Sur le portail de Santa-Anastasia, quelques têtes sont grandes comme la moitié du corps, d’autres n’ont pas de cou ou leur nuque est luxée, presque toutes sont des grotesques ; un Christ en croix a des pattes de grenouille cassées et repliées. — Mais les siècles en marchant tirent l’art de ses langes, et dans les chapelles ultérieures la sculpture est adulte. Santa-Anastasia est remplie de figures du XVe siècle, un peu lourdes parfois, un peu raides, un peu trop réelles, mais si expressives que la perfection des maîtres languit auprès de leur vivante irrégularité. Dans le chœur, un buisson d’épines et de larges fleurs épanouies haut de vingt-cinq pieds enveloppe un tombeau où se dressent de rudes hommes d’armes. Dans la chapelle Miniscalco, parmi des entrelaceraens d’élégantes arabesques, on voit s’étager deux à deux entre les colonnettes rouges qui portent un entablement, quatre statuettes debout : un jeune homme, une jeune fille un peu grêle d’une candeur extrême, deux docteurs chauves aux crânes âprement coupés, tous semblables à des figures de Pérugin. La chapelle Pellegrini, toute lambrissée de terres cuites, est un grand tableau sculpté à compartimens, où les scènes de l’Évangile se lient et se détachent avec une richesse et une originalité d’imagination admirables. Deux files de personnages isolés, chacun sous un clocheton ogival ornementé,