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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

— Pourquoi ? dit Violante. Est-ce qu’il me ferait peur, mon père ?

— Peur ! fit l’avocat avec un rire forcé, non, car vous êtes une fille raisonnable et hardie, qui se soucie peu des sottises courantes. Vous n’êtes point l’amie des légendes et des fables. J’ai souvent blâmé cette disposition de votre esprit, j’avais tort. Je vous ai souvent accusée d’avoir moins d’imagination que de sens : il est pourtant vrai que l’un est bien plus rare que l’autre. C’est ce que me disait hier soir Mme la marquise de Croix-de-Vie, car nous parlions de vous ensemble. La marquise vous juge bien. Violante ; on dirait qu’elle a deviné votre caractère, deviné est le mot ici. Au reste, si Mme de Croix-de-Vie ne vous connaît pas tout à fait aussi bien qu’elle a la bonté de le souhaiter, la faute en est à vous, qui ne l’avez pas voulu.

— Oh ! repartit Violante en baissant les yeux, car elle était déterminée à ne plus regarder son père, j’en conviens : mais c’est chose faite à présent.

— Chose faite ! répéta-t-il. Eh ! vraiment tout ne serait-il point réparable, si votre sauvagerie daignait s’humaniser un peu ? Il n’y a que deux lieues de Bochardière à Croix-de-Vie.

— Il est trop tard.

— Que dites-vous ? Est-il jamais trop tard pour faire ce qui convient ? Mais si votre fierté répugne à cette démarche, qui pourrait avoir en effet des airs d’excuse, rassurez-vous donc, Violante ; Mme la marquise demande à vous voir…

— Est-ce bien elle qui le demande ? dit lentement Violante ; n’est-ce pas vous plutôt qui le lui avez demandé pour moi ?

— C’est elle, ce sera demain le marquis lui-même, c’est tout le monde, indocile enfant que vous êtes, riposta vivement M. de Bochardière en se rapprochant de sa fille. Ils veulent tous vous connaître, apprendre à vous aimer sans doute. Tout vient à vous, tout vous sourit ; mais vous demeurez là dans votre froideur ordinaire, et cette distinction avec laquelle on vous traite ne vous touche point. Je ne sais quels préjugés el quelles méfiances vous troublent l’esprit. Je crois que si le bon Dieu lui-même vous ouvrait son paradis, vous hésiteriez encore à y entrer de peur qu’il s’avisât de ne point vous faire marcher sur le pied de l’égalité avec ses anges et ses saints. Orgueil ! orgueil !…

— Vanité ! vanité ! murmura tout bas Violante.

— Écoutez-moi, reprit-il en essuyant furtivement la sueur qui commençait à couler sur son front. Ce qu’il me reste à vous dire…

— Mon père, s’écria Violante, je vous en supplie, ne me dites pas un mot de plus !

— Violante, fit-il, cherchant à l’attirer de nouveau dans ses bras,