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était cette fois bien réellement unique : tous rétribués et ponctuellement rétribués sur le budget, les fonctionnaires, grands et petits, n’avaient plus le moindre prétexte d’imposer les mille taxes directes ou indirectes qu’ils s’attribuaient jadis à titre d’émolumens, et qui, par un brutal renversement de proportionnalité, frappaient surtout les contribuables pauvres, naturellement moins capables de se défendre que les riches. Davoud-Pacha ne perdait aucune occasion d’encourager populations, et individus à lui dénoncer tout nouveau fait de ce genre. Le gouverneur de Zahlé, qui avait essayé de maintenir à son profit je ne sais plus quelles exactions coutumières, fut révoqué sommairement, et les fonctionnaires de tout ordre se le tinrent pour dit. Enfin le contribuable avait dorénavant la certitude qu’on ne lui demandait que la quote-part d’impôt à laquelle il était réellement taxé, et qu’on ne la lui demanderait pas plusieurs fois. Détachés d’un registre à souche, où le chiffre afférent à chaque cote était inscrit en double par le medjlis central lui-même et dont chaque intéressé pouvait vérifier le talon, portant en outre le cachet de ce medjlis et celui du gouverneur-général, les nouveaux billets d’imposition fixaient authentiquement la situation du contribuable vis-à-vis du trésor. Voilà, et sans parler des économies bien autrement considérables qui résultaient de la sécurité garantie par le nouveau régime aux personnes, aux propriétés et aux transactions, voilà, dis-je, plus qu’il n’en fallait pour transformer ce doublement de l’impôt officiel en un immense dégrèvement.

Les anciens états de répartition, que, faute de mieux, il avait fallu laisser en vigueur jusqu’à l’achèvement du cadastre, favorisaient, il est vrai, les privilégiés de position et de naissance au détriment de la massé des petites cotes ; mais Davoud-Pacha était allé au-devant de l’objection, et en avait même tiré parti en publiant l’avis que les sommes payées provisoirement en trop seraient, lors de la répartition définitive, considérées comme à-comptes sur les versemens ultérieurs. Les nouvelles quittances étaient ainsi pour les paysans lésés, en même temps qu’un titre de libération, un titre de créance dont la plupart jugeaient prudent de se munir au plus tôt, pour ne pas être omis dans le futur état de compensation, tout en gardant la responsabilité entière de leurs arriérés. L’avis pouvait en effet également passer pour un encouragement à ceux qui payaient et une menace implicite à ceux qui ne payaient pas. Ce n’était pas une des moindres surprises réservées par la situation nouvelle que de montrer les opérations cadastrales, partout ailleurs si fécondes en défiances et en tiraillemens populaires, ayant ici pour conséquence un redoublement de bons rapports entre les masses et le fisc.