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Rapidement elle poursuivit, embrassant d’un regard une page entière, souvent en franchissant cinquante, deux ou trois siècles d’un seul coup. Les prouesses d’un Croix-de-Yie, surnommé Taillefer, qui fendait en deux ses ennemis du double tranchant de’sa francisque, ne la touchèrent point. Un autre Croix-de-ie avait été un moment prince d’Antioche vers 1240, ayant épousé une arrière-petite-fille de ce rusé Boémond de Tarente, fils de Robert Guiscard le Normand. Un troisième commandait les derniers restes des gendarmes de Charles VIII à la bataille de Fornoue. Pendant ce temps, les Croix-de-Vie s’unissaient par mariage à des maisons royales ; ils auraient pu charger leur écu d’armes de prétention, comme tant d’autres. Violante souriait toujours. Elle allait cependant, faisant tourner les feuillets un à un sous ses doigts… Tout à coup on eût pu voir s’arrêter comme par enchantement cette main trop alerte et les yeux de Mlle de Bochardière se fixer irrésistiblement sur le passage qu’ils venaient de rencontrer. Ce qu’elle cherchait sans se l’avouer, malgré sa volonté, malgré cette fière raison même à laquelle jamais elle ne cessait d’en appeler dans ses moindres actions, ce qu’elle cherchait était là. À cet endroit du récit, à la date presque moderne de 1687, un Croix-de-Vie était né, le premier pour lequel on eût changé le nom de Siochan ou de Robert, que ses pères avaient alternativement porté, le premier qui se fût appelé Martel, le premier qui… Voici ce que disait à ce sujet le manuscrit de M. de Bochardière :

« Martel Ier fut le fruit du mariage de Robert XVIII avec une princesse de la maison de Lorraine. Les princes de Lorraine sont issus des Carlovingiens, et c’est en souvenir de cette grande origine que l’on donna à cet enfant le nom de Martel. Martel Ier, cinquième marquis de Croix-de-Vie, épousa en 1709, à l’âge de vingt-deux ans, la très haute et puissante dame Yolande de Mareuil, fille de Guillaume, baron de Parthenay-Mareuil. Dieu veut rapprocher les grands de ce monde qui sont à lui. Par ce mariage s’étaient unies deux des plus nobles races de la province. La joie y fut aussi vive que les alarmes y avaient été profondes, car les Croix-de-Vie menaçaient de s’éteindre. La complexion de Martel Ier était si faible qu’il n’avait pu au sortir de l’enfance servir le roi, comme avaient fait tous ses ancêtres ; mais dès 1710 il eut un fils. Le malheur cependant visita l’illustre maison. La marquise Yolande mourut en 1719 d’un mal mystérieux, s’il fallait en croire les sottes rumeurs qui se répandirent parmi le peuple ignorant du pays, d’une lente consomption suivant les médecins. La même année, le marquis, rendu au contraire par la grâce d’en haut à la santé et à la jeunesse, voulut secouer son chagrin et être enfin présenté à la cour. Il y fut