Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/278

Cette page n’a pas encore été corrigée
274
REVUE DES DEUX MONDES.

la futaie, il garde l’entrée des sentiers et défend l’accès des cultures. De loin, l’aspect de la contrée est celui d’une forêt sans limites dont les champs cultivés seraient des clairières ; partout le blé croît sans soleil. Ces champs sont étroits, bordés de hauts talus plantés toujours de haies de chênes, et chaque pièce de terre est une forteresse. Là, couché à plat ventre dans les herbes, derrière cette formidable haie, le Vendéen guettait l’ennemi. Ses fils croient encore aujourd’hui que les âmes des bleus reviennent dans ces champs de carnage. Sous cette feuillée immense, les cœurs sont opiniâtres, fidèles et tristes. Le ciel qui s’élève au-dessus de la chênaie n’est guère plus riant que la terre même, uniformément gris en hiver, l’été d’un bleu pâle, traversé de rapides flocons que le vent d’ouest chasse devant lui. Le souffle de l’Océan, qui est proche, gémit incessamment sous la ramure, et les grands bras des chênes, en s’entre-choquant, rendent comme un son d’armes rouillées.

C’est là, sur un plateau couvert comme tout le reste de la contrée, que s’élève le château de Croix-de-Vie. On y arrive par une vaste avenue de chênes trois fois séculaires, une double file de géans dont la plupart sont découronnés par le temps ou entamés par la foudre. À droite c’est la forêt, à gauche des prairies infécondes dont le tapis jaunâtre expire brusquement sur le bord d’une combe escarpée au fond de laquelle court entre des blocs de granit une rivière triste et maigre ; sur l’autre rive, une bruyère, puis les éternels champs encadrés de bois, partout cet horizon noir. À l’entrée de l’avenue se dresse une croix de pierre ; les seigneurs du lieu portaient une croix dans leurs armes et dans leur nom. La croix de l’avenue est un objet de terreur pour toute la contrée ; personne n’en approche, ni hommes ni enfans.

Le château fut bâti vers la fin du xvie siècle ; la façade de pierres blanches brodées et ciselées apparaît comme un sourire de défi au milieu de cette région sauvage. On conte que Robert de Croix-de-Vie, qualifié « seigneur des Marches, quinzième sire et premier marquis de Croix-de-Vie, » tint à honneur d’édifier en pleine ligue une maison de plaisance à la barbe des ennemis de la foi. Dès que l’édifice neuf fut achevé, il fit raser l’ancien donjon qui s’élevait sur l’autre bord de la rivière, afin de continuer la bravade. Il est vrai qu’il avait entouré sa maison de plaisance de fortes murailles et de douves profondes. L’eau n’y fait plus que sourdre à présent sous l’herbe ; une énorme végétation d’arbres et d’arbustes s’élance du fond et des berges de la douve, s’appuie contre le grand mur, haut de vingt pieds, épais de six, tout percé de meurtrières, qui environne de sa formidable ceinture les cours, les communs, les jardins et le logis seigneurial. Ces jardins sont dessinés à l’italienne.