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filaire, creusent à travers les organes leurs longs sillons, bien que très étroits, ils dissocient et tiraillent les fibres, les irritent et produisent des phénomènes inflammatoires redoutables ; mais ces désordres sont proportionnels au nombre des trichines. Si des millions de ces vers tuent nécessairement, quelques milliers restent complètement inaperçus. Aussi, lorsque la migration est achevée, lorsque les trichines sont enkystées, l’homme qui les porte dans ses organes ne se doute nullement qu’il est la proie de milliers de vers.

Les douleurs qui signalent l’invasion des trichines, les accidens mortels qui en sont quelquefois la conséquence, l’absence d’un remède, la facilité de contracter la contagion, inspirent aux populations qui y sont exposées une crainte légitime ; mais cette crainte, très justifiée en Allemagne, s’est propagée dans les pays voisins. Il convient donc de rassurer les esprits à l’égard d’un danger exagéré et pour la France véritablement imaginaire. La trichine n’est à craindre que par sa transmission des animaux à l’homme ; or l’histoire naturelle nous donne sous ce rapport les indications les plus certaines. La larve est le seul agent de la transmission de la trichine ; mais que d’obstacles l’environnent et renferment ses moyens de propagation dans un cercle fort étroit ! Emprisonnée dans un kyste, elle ne s’y reproduit pas ; elle n’en peut sortir spontanément, ni pendant la vie de son hôte, ni après sa mort ; elle périt fatalement, si elle n’est transportée à temps dans l’estomac d’un autre animal. Ni les oiseaux, ni les poissons, ni les reptiles, ni les animaux invertébrés ne peuvent la propager. Elle se développe exclusivement chez les mammifères, et de ceux-ci il faut excepter tous les grands carnassiers sans doute, et certainement tous les herbivores. Quels sont donc les animaux qui, dans l’économie de nos campagnes, peuvent infester ceux qui nous communiquent la trichine à leur tour ? Nous ne recevons ce ver que du porc, et le porc ne peut le recevoir que du chat, du rat et de la souris, car les animaux sauvages susceptibles de prendre la trichine ne sont point les familiers de la ferme, et ce n’est que par une rare exception que leur cadavre pourrait servir de pâture au porc. Quant au chat, à la souris, au rat, il serait difficile de les empêcher de prendre quelque part de butin lorsqu’il se trouve dans une ferme de la viande de porc trichine. Aussi n’est-il point douteux qu’ils ne servent de véhicule dans la transmission des trichines d’un porc à un autre.

Or ce mode d’infection trichinale, le seul qui puisse être ordinaire et qui puisse par conséquent devenir un danger public, n’est pas susceptible de porter au loin la contagion. La souris, le rat, le chat, n’émigrent guère, et ce n’est que dans les fermes du voisinage qu’ils peuvent transporter les parasites attachés à leurs chairs. C’est donc de proche en proche, lentement, sourdement, que la trichine gagne du terrain, et qu’elle parvient à infecter toute une contrée. Dans un pays où la trichine n’existerait pas, cette contagion serait-elle tant à craindre ? l’envahirait-elle, comme le choléra ou la peste par des miasmes subtils et insaisissables, comme le charbon par des germes que le vent emporte et dissémine au loin, comme la filaire de Médine même, dont les larves desséchées peuvent être enlevées en tourbillons avec le sable du désert ou portées dans des contrées