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développés. On pouvait entrevoir déjà une relation entre les uns et les autres. Les trichines des muscles n’étaient-elles point les filles de celles de l’intestin ? Mais celles-ci, d’où venaient-elles ? Des renseignement ultérieurs en firent découvrir l’origine : dans la ferme où vivait la jeune fille, un porc avait été tué quelques jours avant qu’elle devînt malade ; elle en avait mangé de la chair hachée et crue ; plusieurs personnes qui en avaient mangé de même avaient été sérieusement incommodées. La chair du porc, conservée au saloir, fut examinée ; elle était infectée de trichines identiques à celles des muscles de la jeune fille. Les savans que je viens de nommer trouvèrent dans ce fait l’occasion de nouvelles recherches qui achevèrent de faire connaître l’histoire de la trichine. Je pus moi-même, grâce à l’obligeance de M. Virchow, répéter leurs expériences à Paris, et chercher la solution de quelques questions qui n’avaient point particulièrement attiré l’attention de ces savans observateurs.

La trichine, dans les muscles, est à l’état de larve. Renfermée dans un kyste, elle ne s’y reproduit jamais et n’en peut sortir spontanément ; mais si son hôte est dévoré par un mammifère, en peu d’heures les muscles et les kystes sont détruits par la digestion, et la larve, devenue libre, arrive dans l’intestin grêle. L’intestin est le milieu qui convient à son développement complet ; aussi, dès le troisième ou le quatrième jour, elle acquiert des organes génitaux. Elle s’accouple, et quelques jours après des œufs, puis des embryons, apparaissent dans le corps de la femelle, car elle est vivipare. Déposés dans le mucus qui revêt les parois de l’intestin, ces embryons s’enfoncent dans l’épaisseur de la membrane muqueuse et la traversent pour se porter vers les muscles.

Pour traverser les tissus, ces petits êtres ne sont point munis de crochets, de stylets ou d’une arme particulière comme d’autres vers. Leur extrême petitesse suffit ; l’épaisseur de la partie antérieure de l’embryon est de trois millièmes de millimètre, de telle sorte que trois cent trente-trois embryons juxtaposés tiendraient dans la longueur d’un millimètre. L’embryon peut ainsi sans obstacle s’insinuer et voyager entre les lames et les mailles des tissus organiques. Parvenu dans les muscles, l’embryon grandit et acquiert en quinze ou vingt jours tous les organes qui constituent la larve ; l’appareil de la génération seul ne se produit point. En même temps, une poche ou kyste s’organise autour de cette larve par une transformation de la fibre musculaire et l’enferme complètement. La trichine reste dans ce kyste à l’état de vie latente, comme la chrysalide dans son cocon, sans se reproduire et sans éprouver de nouveau changement. Elle vit ainsi recluse pendant un temps indéfini, pendant plusieurs années même (huit ans au moins d’après quelques observations), et finit par périr, s’il ne survient aucun événement qui la tire de sa prison vivante.

La migration de la larve dans l’intestin est indépendante de sa volonté, elle est purement passive ; la migration de l’embryon dans les muscles est au contraire active. L’embryon n’a point encore d’organes bien définis, et sa vie est extrêmement fugace. Il va donc chercher dans un nouveau séjour, dans les muscles, les conditions nécessaires à son développement ultérieur et des propriétés vitales nouvelles. Ingérée avec la chair qui la contient