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Qui certes ne lui déplaisait point, qui peut-être même ne le prenait pas tout à fait au dépourvu : la nouvelle de la mésaventure arrivée au prince Couza. Les intimités qui, aussitôt après la chute du triste hospodar, éclatèrent entre le consul de Prusse dans les principautés et les meneurs roumains, bien plus encore l’élection récente du prince de Hohenzollern, font involontairement penser à quelque jeu caché et concerté de longue date entre Berlin et Bucharest. Le ministre de Guillaume Ier ne put dans tous les cas que saluer la révolution moldo-valaque comme un incident très heureux. Ainsi que l’année précédente, lors de la complication qui amena le dénoûment de Gastein, il avait maintenant choisi son moment propice, le moment où François-Joseph tentait un effort suprême auprès de la diète de Pesth, Grâce aux amertumes passées et trop justes, hélas ! grâce aussi, il faut bien le dire, aux prétentions exagérées et à l’esprit beaucoup trop avocassier des Magyars, l’œuvre de réconciliation avec la Hongrie rencontrait des difficultés, toujours nouvelles et surtout des lenteurs périlleuses. L’Europe apprenait précisément à ce moment, sans le comprendre trop, qu’il s’agissait à Pesth non plus de la question quid juris, mais bien encore de la question quid consilii… Quelle bonne fortune pour M. de Bismark qu’aux embarras de l’Autriche en Hongrie vinssent s’en ajouter ainsi subitement d’autres dans les principautés, c’est-à-dire sur un point où toute complication devient immédiatement d’un grave danger pour l’empire des Habsbourg et semble porter dans ses flancs le terrible problème d’Orient ! Espérons bien que l’insurrection du 23 février finira par tourner au profit du malheureux peuple roumain ; mais il importe de constater que l’effet immédiat de cette révolution a été d’ajouter une nouvelle et bonne carte au jeu de M. de Bismark. Par un phénomène bizarre et bien fait pour confondre les notions géographiques reçues, les flots montans du Danube allèrent tout d’abord augmenter la crue de la Sprée.

Sur les bords de la Sprée, en effet, les événemens s’accentuaient dès lors avec une gravité croissante. Le 28 février, le roi Guillaume Ier tint un grand conseil auquel assistèrent tous les ministres, le prince royal, le général Manteuffel, le chef d’état-major-général Moltke, le chef du cabinet militaire Treskow et le comte Goltz, qui avait été mandé en toute hâte de Paris ; l’opinion publique fut unanime pour attribuer à ce conciliabule les décisions les plus importantes. Le 2 mars, M. de Bismark annonçait dans une réponse officielle à une adresse présentée par « les membres de l’ordre équestre (dix-neuf hobereaux) du Holstein » la résolution de son gouvernement de poursuivre avec fermeté l’annexion, à tous les points de vue si désirable, des duchés à la Prusse. Les journaux