Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le mois suivant (mars 1865), le ministre de Prusse surprenait le monde par une nouvelle tout à fait inattendue, stupéfiante, et pour laquelle il faudrait épuiser la fameuse liste d’adjectifs de Mme de Sévigné. Il avertissait la diète germanique que la maison de Brandebourg elle-même venait de s’apercevoir tout à coup qu’elle avait des droits à la succession dans les duchés, et qu’elle allait demander à ce sujet l’avis des syndics de la couronne !… Il y a toujours, on le sait, des juges à Berlin, — on y trouve même maintenant des juges qui poursuivent les députés pour leurs discours dans les chambres ; — les syndics de la couronne de Prusse étudièrent donc la cause sous toutes ses faces. Ils y mirent beaucoup de temps, et apparemment autant de conscience ; ils ne rendirent leur arrêt qu’en juillet 1865[1], mais cet arrêt fut souverain et sublime ! Il déboutait toutes les parties, les déclarait toutes mal fondées dans leurs prétentions : ni le prince de Hesse, ni le grand-duc d’Oldenbourg, ni le duc d’Augustenbourg, ni même la maison de Brandebourg n’avaient de droits à la succession du Slesvig-Holstein ; seul, le roi de Danemark y avait des titres légitimes !… Ainsi, après tant de disputes judiciaires et de combats meurtriers, après tant d’encre versée et de sang répandu, il demeurait constant et patent que seule la monarchie de Danemark avait des droits sur les duchés, et que la guerre qui a eu pour objet de dépouiller cette monarchie de ses possessions sur l’Eider a été abusive, injuste et injustifiable ! Et c’étaient les syndics de la couronne de Prusse qui venaient prononcer ce jugement définitif, que recueillera certes l’histoire ! Toutefois les syndics ne concluaient pas de là qu’il fallût dès lors rendre les duchés à celui qui seul y avait des titres légitimes : le ministre ne leur avait pas commandé un pareil dispositif ; ils concluaient simplement au droit de la conquête. L’empereur d’Autriche et le roi de Prusse, — ainsi le déclarait l’arrêt des syndics, — avaient conquis les duchés sur leur seul possesseur légitime ; ils en étaient par conséquent devenus les propriétaires exclusifs, les maîtres absolus : quod erat demonstrandum !… C’était là que voulait en venir M. de Bismark, et il se mit en devoir d’y amener aussi l’Autriche, très arriérée jusqu’ici en cette matière de jurisprudence.

Jusqu’à cette époque en effet, jusqu’au mois de juillet 1865, l’Autriche s’était bornée à décliner toutes les insinuations de la

  1. C’est dans les premiers jours de juillet que parut du moins le rapport de la commission des syndics avec ses conclusions. Le jugement en forme fut prononcé un peu plus tard.