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la diète fédérale était assurée en conséquence, mais qu’il réunissait aussi les suffrages indubitables de la grande majorité des populations de ce pays… » C’est le 28 mai 1864, et devant l’aréopage de l’Europe, que le président du conseil de Prusse fit une déclaration si mémorable, et cette date restera.

Il est vrai que peu de jours après cette déclaration du 28 mai 1864 on sut que M. de Bismark entendait mettre certaines et importantes conditions à sa libéralité grande. Au prétendant accouru en toute hâte, le 1er juin 1864, à Berlin, le cœur plein d’effusion, l’ingénieux ministre avait présenté une petite carte à payer. La Prusse demandait pour elle, comme prix de sa reconnaissance, plusieurs légères gratifications : le port de Kiel d’abord, puis le canal des deux mers, item les soldats et les marins, item les forteresses, les routes militaires, les postes et les télégraphes dans les « duchés-unis. » Pour employer une locution familière de nos voisins d’outre-Rhin, la Prusse ne voulait garder du couteau que la lame et le manche, et déclarait faire généreusement abandon du reste… Sur le refus du pauvre prétendant de souscrire à de pareilles conditions, qu’il qualifia de honteuses, M. de Bismark lui avait suscité à l’instant même, encore au sein de la conférence de Londres et avec l’aide complaisante de la Russie, un concurrent qui n’était pas certes à dédaigner, un beau-frère de sa majesté l’empereur Alexandre II, le grand-duc d’Oldenbourg, qui prétendit, lui aussi, avoir des droits à la « succession. » Un troisième prétendant ne tarda pas non plus à paraître devant la conférence de Londres pour y « réserver ses droits, » et ce fut encore un beau-frère du tsar, un prince de Hesse ! Tout cela devait bientôt amener M. de Bismark à confesser, dans une dépêche circulaire aux cours allemandes, en date du 24 décembre 1864, qu’au milieu de revendications si multipliées et si confuses, il se trouvait perplexe, que sa conscience n’était pas suffisamment édifiée sur le point de droit, qu’il éprouvait le besoin de se recueillir et de « consulter les légistes. » Cela toutefois ne l’empêcha point d’écrire, le 22 février 1865, une dépêche au cabinet de Vienne, dans laquelle il se déclarait prêt à reconnaître le duc d’Augustenbourg, mais, — bien entendu, — toujours aux mêmes conditions qu’il avait antérieurement formulées devant le prétendant lors de l’entrevue de Berlin[1].

  1. Elles sont connues sous le nom de « propositions prussiennes » et annexées à la dépêche du 22 février 1865. M. de Mensdorff se contenta de répondre que ces propositions tendaient à constituer en Allemagne un état mi-souverain (un état vassal ), ce qui serait contraire à l’égalité de droits et à l’indépendance que le pacte fédéral assure aux états germaniques. — On fit aussi à Vienne la très judicieuse remarque que M. de Bismark voulait faire admettre par le futur souverain des duchés des prétentions que la Sublime-Porte, malgré sa suzeraineté, n’avait jamais osé soutenir à l’égard des principautés danubiennes.