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conciliation lui imposait. Peut-être une conduite plus ferme eût-elle imposé au tongso penlow et eût-elle prévenu des scènes déplorables.

Quoi qu’il en soit, l’ère des négociations n’était pas close encore. Le premier acte de M. Eden, aussitôt qu’il fut rentré à Darjeeling, avait été de conseiller l’occupation définitive, ou au moins temporaire, de la partie du Bhotan la plus voisine des frontières. Le gouverneur-général crut devoir agir encore verbalement avant d’en venir à une répression effective. Il confisqua d’une façon définitive le tribut annuel que les Anglais payaient au deb rajah pour l’occupation des territoires contestés, et requit de ce souverain la reddition des sujets britanniques emmenés en captivité pendant les cinq dernières années. La réponse des Bhotanèses fut curieuse. « Nous venons de conclure un traité, écrivirent-ils, et vous le violez déjà. Notre habitude, à nous, est de tenir notre parole quand nous l’avons donnée. Nous n’avons plus rien à vous restituer. D’ailleurs la plaine est malsaine en cette saison. Quand la saison des fièvres sera passée, envoyez-nous un autre ambassadeur, si vous le voulez. »

Le gouvernement de l’Inde jugea sans doute que c’en était assez. Par une résolution prise en conseil à la date du 12 novembre 1864, il fut décidé que les Dooars étaient définitivement annexés à l’empire britannique, ainsi que la zone intérieure des montagnes où sont établies toutes les forteresses, — Dhalimkote, Bishensing, Dewangiri, — qui commandent les défilés et dominent la plaine. Une armée de dix mille hommes environ fut réunie sur la frontière et partagée en quatre colonnes qui devaient attaquer le Bhotan sur quatre points différens. Toutes ces troupes étaient indigènes, sauf quelques artilleurs européens. Les bagages et les canons étaient portés à dos de bœufs et d’éléphans.

On a dit plus haut qu’il y a au pied des montagnes une bande de terrain d’une insalubrité notoire, le Terai. Les habitans, connus sous le nom de Mechis, ont une apparence prospère en dépit du climat. Soit habitude, soit constitution particulière, ils ne semblent nullement sujets à la terrible fièvre des marais, que les Européens, de même que les indigènes des montagnes voisines, contractent en leur pays. Rien qu’à traverser le Terai, les troupes anglaises furent déjà rudement éprouvées, bien qu’on leur prodiguât la quinine chaque matin par mesure de précaution. A tous autres égards, la marche des colonnes n’éprouvait aucun obstacle. Les Mechis sont gens paisibles, habitués à être exploités par leurs voisins. Les proclamations du gouverneur-général avaient été répandues à profusion parmi eux. Ils connaissaient les intentions des Anglais et s’y soumettaient sans contrainte. Il n’y avait chez eux ni chef ni soldats