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Plusieurs années s’écoulèrent sans que la situation fût modifiée en rien ; puis survint la grande insurrection des sepoys en 1857, que l’opinion publique attribua, peut-être à tort, à des accroissemens de territoire inconsidérés. Ce fut d’ailleurs une époque de trouble pendant laquelle les questions secondaires restèrent en suspens. Quand la révolte eut été comprimée et que la péninsule fut rentrée dans une période de calme, les affaires de la frontière du Bhotan se représentèrent avec le même degré d’urgence et de gravité ; mais le gouvernement de l’Inde était disposé moins que jamais à résoudre les difficultés par la force, car toute nouvelle tentative d’agrandissement territorial eût été mal accueillie en Angleterre. Il essaya de suspendre, comme moyen de punition, le paiement des rentes annuelles auquel il s’était engagé ; la frontière n’en devint pas plus sûre. Le gouverneur-général, lord Canning, résolut alors d’envoyer une nouvelle mission près des dhurma et deb rajahs. Il ne se proposait rien moins que de conclure avec ces chefs barbares un traité en dix articles stipulant la liberté du commerce, la reddition réciproque des malfaiteurs, enfin toute sorte d’engagemens dont l’expérience du passé aurait dû prouver l’inanité. Bien plus, on voulait proposer aux Bhotanèses de laisser dans leur capitale un officier anglais à résidence fixe afin de statuer, d’accord avec l’autorité suprême du pays, sur toutes les difficultés qui s’élèveraient à l’avenir. Au moment même où cette tentative diplomatique se préparait, les gens du Bhotan envahissaient les états indigènes de Sikim et de Cooch-Behar ; sous la conduite d’un des commandans de la frontière, le jungpen du fort de Dhalimkote, ils ravageaient ces deux pays et se retiraient, emmenant un grand nombre de prisonniers. L’établissement hospitalier de Darjeeling parut même assez gravement menacé par ces barbares pour qu’on se hâtât d’y envoyer des troupes de renfort.

La mission organisée sous ces fâcheux auspices devait être dirigée par M. Ashley Eden, officier civil de la province de Bengale, qui avait déjà fait preuve d’une grande habileté dans l’arrangement de difficultés pendantes entre le gouvernement de l’Inde et le rajah de Sikim. Les instructions dont il était porteur lui prescrivaient d’expliquer au gouvernement du Bhotan, dans un esprit de paix et de conciliation, les justes sujets de plainte que l’on avait contre lui, de réclamer la reddition des sujets britanniques emmenés en esclavage et des bestiaux enlevés sur la frontière, enfin de stipuler des garanties pour l’avenir sous la forme d’un traité dûment et valablement signé par les deb et dhurma rajahs. Un médecin et deux officiers de l’armée étaient adjoints au chef de la mission ; l’un de ces deux officiers devait lever le plan topographique de la contrée traversée, l’autre commander l’escorte. En outre M. Eden emmenait