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chaîne, — en face sur le petit état de Sikim, qui est à cheval sur les montagnes, car l’autorité du rajah s’exerce aussi sur une partie du Thibet, — enfin à droite sur un pays encore montueux, mais un peu moins élevé, dont les horizons s’étagent les uns au-dessus des autres à perte de vue. C’est le Bhotan, contrée d’un accès difficile, longue, mais étroite, qui s’avance avec une largeur moyenne de 150 kilomètres sur 350 kilomètres de long entre la crête de l’Himalaya, qui la sépare au nord du Thibet, et la vallée de l’Assam, où les derniers contres-forts de la chaîne viennent s’étaler à peu de distance des bords du Burhampooter. D’après les traditions locales, ce pays fut occupé, il y a deux cents ans environ, par une colonie venue du Thibet qui y a laissé des traces de son origine, car les édifices conservent encore le type bien connu de l’architecture thibétaine et chinoise ; mais peu à peu, soit que la contrée fût trop pauvre, soit que les communications fussent trop difficiles, les Bhotanèses n’eurent plus que de rares relations avec la mère-patrie. Au besoin ils en reçoivent encore des secours, comme il arriva, paraît-il, pendant la guerre même de 1865. Ils sont bouddhistes, et, en cette qualité, sont soumis à la suprématie religieuse du grand-lama ; ils professent même un certain respect pour les autorités chinoises qui résident à Lassa, capitale du Thibet. Au fond, les Bhotanèses sont des hommes violens, indisciplinés, à demi sauvages, ayant néanmoins dans le caractère quelque chose de la duplicité chinoise. Ils se reconnaissent débiteurs d’un tribut annuel envers le grand-lama, et lui envoient en conséquence chaque année un contingent de soie et de riz ; mais, comme la remise de ce tribut était pour les individus qui en étaient chargés une occasion de rapines et de déprédations, les autorités thibétaines ont interdit l’entrée du territoire à leurs feudataires ou ne veulent plus les recevoir que désarmés. Bien plus, les marchands du Thibet évitent de traverser le Bhotan, où ils craignent d’être dévalisés. En dépit d’une commune origine, les Bhotanèses ne reconnaissent donc plus à leurs voisins d’outre-monts qu’une suzeraineté nominale.

Au reste, ces rudes habitans des montagnes ne sont pas en meilleures relations avec leurs voisins de la plaine qui les limite au sud. Les communications entre l’Assam et le Bhotan ont lieu par des défilés en chacun desquels est un petit fort qui sert d’asile et de refuge aux maraudeurs. Dans le langage local, ces défilés se nomment dooars, et le nom en a été par la suite étendu aux parties de la plaine que ces forts dominent, en sorte que ce qu’on connaît maintenant sous le nom de Dooars est une langue de terre de vingt à quarante kilomètres de large et située au débouché immédiat des montagnes. C’est un territoire riche et fertile, très peuplé, quoique malsain. Les incursions des Bhotanèses dans cette région