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que l’esprit qu’il leur enverra le remplacera quand il les aura quittés, ce sera là son « retour », car le quatrième Évangile n’a aucune idée du royaume visible que le Christ, de retour sur les nuées du ciel, devait fonder sur la terre à la fin prochaine des temps, il est même en réaction ouverte contre cette attente si généralement partagée par les chrétiens des premiers jours. Il montre à ses disciples dans sa mort imminente le grand moyen de purification qui achèvera de les purifier de leurs souillures, eux et tous ceux qui croiront en lui. Et c’est après cela que, véritable agneau pascal, dont l’agneau traditionnel de la fête juive n’était que la préfiguration, il meurt au moment même où les Juifs allaient célébrer leur repas symbolique.

On le voit, toute cette conception de l’histoire évangélique découle de la manière la plus rigoureuse de la théorie métaphysique dont nous ayons rappelé plus haut les traits essentiels. Cette théorie, on l’a vu, est platonicienne et plus précisément philonienne. Cela nous met sur la voie du sens que l’auteur lui-même désirait qu’on attachât à ses récits. C’est là un point qui, pour être bien saisi, exige absolument que nous sachions nous dépouiller pour quelques instans de nos habitudes intellectuelles modernes. Non-seulement l’esprit général de l’antiquité se prêtait mieux que le nôtre à envisager symboliquement les choses, non-seulement l’idéalisme platonicien avait accoutumé ses adeptes dès l’origine à tenir peu de compte de la réalité visible et tangible en comparaison de l’idée dont elle n’était que l’empreinte ou le reflet ; mais le philonisme, la philosophie alexandrine, avaient poussé cette tendance à l’extrême. Ajoutons que le judaïsme classique était arrivé au même résultat par un autre chemin. Comme Juif et comme platonicien, Philon était donc allégoriste au suprême degré. On sait comment sous sa plume les choses de l’Ancien Testament se transfigurent. Il respecte les textes, il raconte les faits dans les termes consacrés ; mais que ne voit-il pas à travers la lettre ! Par exemple, quand nous nous rappelons l’histoire de l’exode, nous pensons simplement à ces événemens qui s’appellent la sortie d’Égypte du peuple d’Israël, son séjour prolongé au désert, son entrée en Chanaan : un philonien y trouvait bien autre chose. Pour lui, le peuple d’Israël, c’est l’âme ; l’Égypte, c’est le corps où l’âme est emprisonnée ; Chanaan, c’est la béatitude, et la traversée pénible du désert signifie que l’âme doit échapper par l’ascétisme à sa prison terrestre. Et ainsi de suite pour tous les événemens de l’histoire sainte. Imaginons maintenant un esprit imbu de pareilles habitudes de pensée, disposé à n’apprécier la réalité matérielle que dans la mesure où elle est l’image symbolique d’une autre réalité d’un ordre supérieur, qui est à la première ce que le nuage doré qui regarde le soleil est