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Neander et l’école de Schleiermacher, subordonner complètement les données des synoptiques aux allégations contraires du quatrième Évangile. Il est vrai que l’authenticité compte encore de nombreux et ardens défenseurs. Au premier rang, il faut citer M. Hengstenberg, de Berlin ; mais ne serait-il pas un de ceux qui compromettent le plus la cause de l’authenticité par la manière dont il la défend ? On est tenté de le croire quand on le voit reconnaître avec la critique indépendante que l’histoire racontée par le quatrième Évangile est soumise à un plan systématique, préconçu, et qu’en général les récits dont il se compose sont symboliques dans leur ensemble et dans leurs détails. Il en résulte qu’il se trouve à chaque instant sur le même terrain que tous ceux qui, frappés de la même évidence, en concluent, comme Herder au siècle dernier, que ce livre nous présente des idées et non des faits[1].

Tel est en définitive le sentiment qui l’emporte dans l’esprit des critiques modernes. Tous les jours, pourrait-on dire, on apprend que tel d’entre eux qui avait longtemps maintenu la thèse contraire a opéré sa conversion. Outre Credner, qui avait avoué la sienne dans son livre posthume sur l’Histoire du Canon, outre les noms que nous avons rappelés tout à l’heure, nous pouvons citer ceux de MM. Hilgenfeld d’Iéna, Kœstlin, Volkmar de Zurich, Scholten, Küenen de Leyde, Meybobm d’Arasterdam, Holtzmann de Heidelberg, etc., parmi ceux qui se sont prononcés contre l’authenticité du livre, et c’est de ce côté, on peut l’affirmer sans crainte, que mène aujourd’hui le courant de la critique.


III

Des noms, dira-t-on, pas plus que des moines, ne sont des raisons, et quand on assiste aux sinuosités nombreuses du courant de l’opinion savante sur la question du quatrième Évangile, n’a-t-on pas le droit de présumer que l’avenir nous réserve des évolutions

  1. Lors de la découverte des Philosophoumena d’Hippolyte (IIIe siècle), on crut pouvoir alléguer en faveur de l’authenticité certains passages où l’auteur, citant les gnostiques, parait faire remonter l’existence et l’emploi du quatrième Évangile jusqu’au temps de Basilide et de Valentin (première moitié du IIe siècle) ; mais, sans compter qu’on ne sait jamais bien si Hippolyte cite les maîtres eux-mêmes ou leurs disciples, ces citations tendraient tout au plus à retrancher une quinzaine d’années du chiffre en tout cas trop élevé ; que Baur présentait comme la date au-dessus de laquelle il ne fallait pas remonter. Il en est de même de l’apocryphe intitulé Acta Pilati, sur lequel tout, récemment encore M. Tischendorf voulait s’appuyer pour démontrer la haute antiquité du quatrième Évangile. Tout bien examiné, ce livre, sous sa forme actuellement connue, est beaucoup trop récent pour entrer en ligne de compte. Nous n’avons rien dit non plus du parti que l’on a voulu souvent tirer des déclarations contenues dans la première épitre attribuée à l’apôtre Jean. L’authenticité de cette épitre tombe et se relève, comme on dit en Allemagne, avec celle du quatrième Évangile.