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l’esprit éclectique en sommes-nous venus, en matière de goût, à pouvoir ainsi concilier les contraires ? Comment chacun de nous consent-il à promener une sympathie imperturbable de tel petit système contemporain aux grandes doctrines que résument les tableaux des vieux maîtres, et subit-il d’aussi bon cœur, en raison simplement de l’heure où elle se produit, ici l’influence violente ou cauteleuse des faux talens, là l’autorité saine des talens véritables ? Grave question dont nous n’avons pas maintenant à essayer de trouver la solution, mais qu’il convenait peut-être de poser pour indiquer en passant les dangers de notre impartialité même et pour rappeler aux admirateurs de ces œuvres anciennes, momentanément remises en lumière, quelles conséquences ils doivent tirer d’un pareil spectacle et quels devoirs il leur prescrit.

Pour que les enseignemens toutefois fussent plus profitables encore et les devoirs plus nettement définis, il nous eût paru désirable qu’on apportât dans le choix des exemples un peu moins de désintéressement ou de facilité. Sans doute on ne peut que rendre hommage au zèle des organisateurs de cette exposition rétrospective et à la libéralité de ceux qui en ont fourni les élémens. Déjà, vers la fin de l’année dernière, quelques hommes dévoués à la cause des arts avaient, pour d’autres séries de monumens, tenté une entreprise à peu près semblable, et l’on se rappelle le succès qui accueillit cette révélation publique des richesses conservées dans les collections particulières. Ce que l’on avait fait alors en vue de populariser les plus précieux spécimens de l’art industriel, on l’a recommencé aujourd’hui pour les œuvres de la peinture. Même bon vouloir de part et d’autre, même empressement à demander et à consentir chez les emprunteurs et chez ceux qui possèdent. Qu’il nous soit permis seulement d’ajouter que l’on a contracté parfois des obligations assez inutiles : en acceptant un peu trop volontiers de toutes mains, on n’a pas toujours pris le temps d’examiner la qualité réelle du prêt et d’en vérifier la valeur. De là plus d’une disparate, plus d’une inégalité de mérite, tout au moins dans les toiles réunies au palais des Champs-Elysées. L’exposition rétrospective de 1866, particulièrement riche en tableaux de Greuze, l’est en général beaucoup trop en peintures de genre du dernier siècle, et même du siècle où nous sommes. Passe encore si, pour cet ordre de travaux, on avait fait appel aux maîtres, à Watteau, à Chardin par exemple ; mais dans le sanctuaire où l’on se proposait de recueillir les reliques les plus vénérables de l’art, convenait-il d’installer aussi des souvenirs et des talens équivoques ou bien récemment consacrés ? Pouvait-on enfin, sans anomalie et sans dissonance, associer aux hymnes d’un fra Angelico, d’un Memling, d’un Botticelli, les petits madrigaux pittoresques de Pater et de Nattier ou les chansonnettes de Fragonard ? Rien de plus délicat, je le sais, rien de plus difficile que de s’imposer en pareil cas certaines limites fixes et d’observer rigoureusement certaines règles. Comment exiger d’un jury purement officieux qu’il résiste