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d’aller, à ce point de vue, entendre les Joyeuses Commères ; ils n’auront pas perdu leur soirée.

Est-ce bien un rôle pour Mme Gueymard que ce personnage de Fidès, sculpté par Meyerbeer dans le granit des vieux maîtres florentins ? Sa nature de femme, son tempérament de cantatrice comportent-ils cet effort prolongé dans l’accentuation, le haut tragique ? Les voix ont leurs périodes ; celle de Mme Gueymard, tout en conservant dans le medium ses plus belles cordes, semble depuis quelque temps s’affermir, s’arrondir dans le bas aux dépens des notes aiguës, dont l’émission devient laborieuse. C’en était assez pour motiver une excursion vers l’emploi de contralto. L’épreuve n’a pas été sans succès, toutefois je persiste à penser que la voix de Mme Gueymard reste aujourd’hui ce qu’elle était hier : un mezzo soprano très caractérisé. Quelques notes qu’on perd dans le haut et qu’on rattrape dans le bas ne sauraient changer les conditions de l’organe, tout au plus suffisent-elles à rendre possibles ces mutations d’emploi qui n’ont d’intérêt que parce qu’elles ne doivent pas se renouveler et ne comptent en quelque sorte qu’à l’état d’école buissonnière. On conçoit Mme Gueymard traversant pour un moment le répertoire du contralto ; mais il ne faudrait pas que l’administration songeât à l’y vouloir établir définitivement. A quoi servent donc certains engagemens ? Où vont aboutir certains débuts si fièrement préconisés à la première heure ? Il se peut qu’entre Mlle Bloch et Mlle Mauduit les appointemens soient égaux ; ce qu’il y a de constant, c’est que l’une s’en tient à son Azucéna du Trouvère, n’aborde aucun des rôles majeurs de l’emploi de contralto, tandis que l’autre, née à peine au théâtre, y rend déjà d’incessans services, active, intrépide, toujours sur la brèche, hier Alice et Rachel, aujourd’hui Bertha. — Deux cantatrices à l’Opéra ont chanté Fidès avec distinction : l’Alboni, la Borghi-Mamo. C’est de la Borghi que Mme Gueymard se rapproche le plus, laissant dans un effacement presque complet la partie grave, tandis qu’elle s’attarde complaisamment dans la plénitude du médium, et en définitive chante le rôle moins en contralto qu’en mezzo soprano qui se transpose. Je n’ai point nommé Mme Viardot parce que, dans ce personnage qu’elle a créé, Mme Viardot n’a jamais rencontré de rivale digne de lui être comparée. Elle seule fut la Fidès de Meyerbeer ; elle seule sut comprendre, exprimer cette immense douleur, rendre à la scène cette figure austère, anguleuse, dantesque, âpre et farouche en sa grandeur tragique, d’une raideur magistrale. Ne se vieillit pas qui veut au théâtre. Cet appareil de cheveux gris, ces rides qui peuvent par moment donner à certains profils une dignité surnaturelle, vont par contre faire quelquefois d’un aimable et gracieux visage de Parisienne grassouillette le masque d’une de ces bonnes femmes qui louent des chaises dans les églises. — Sans être belle, Mme Viardot avait une physionomie très déterminée, beaucoup d’ampleur, de geste, de dehors. Le puissant effet qu’elle produisait dans le Prophète était un effet très complexe, non point seulement de cantatrice comme