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imprévoyante du cabinet. Les troubles du continent ne manqueront point de réveiller chez les hommes jeunes de la politique anglaise la sollicitude et le goût des amures étrangères. Il est fâcheux que le ministre des relations extérieures n’appartienne point à la chambre des communes. Ce département est représenté dans cette chambre avec une autorité insuffisante par M. Layard. Si le cabinet actuel venait à se retirer, ce qui n’est point improbable, on croit que lord Stanley pourrait bien prendre les affaires étrangères dans la nouvelle combinaison. On se figure, non peut-être sans raison, que lord Stanley, avec son esprit droit, avisé, froid, ouvert aux idées modernes et noblement fermé aux supercheries où se complaît depuis trop longtemps la diplomatie continentale, ferait reprendre à l’Angleterre une contenance digne d’elle dans les conseils de l’Europe. Cela regarde les Anglais ; ce qui nous importe à nous, c’est de tenir compté des variations de l’opinion publique chez nos voisins. L’Angleterre n’est plus montée à l’endroit des affaires italiennes au ton de 1859 et de 1860. Elle ne nous rendrait plus aujourd’hui le service de nous aider à sortir des liens du traité de Zurich. Elle applaudirait sans doute à l’affranchissement de la Vénétie ; mais elle ne voit point sans chagrin et sans défiance l’association que l’Italie a contractée avec la Prusse.

Une seule chose aussi pourrait détourner l’Angleterre de la neutralité que nous sommes si intéressés à lui voir garder avec nous : ce serait, comme pour la Russie, une crise en Orient. À ce point de vue, l’Italie agira sagement, si elle s’abstient de provoquer par des tentatives sur l’Adriatique l’ébranlement des populations orientales. Quand on songe au prix que doit avoir pour nous et pour l’Italie la continuation de la neutralité de la Russie et de l’Angleterre, on ne comprend point que l’équipée du prince de Hohenzollern dans les principautés ait été tolérée. On ne saurait admettre que le nouvel hospodar, officier de l’armée prussienne, ait quitté comme un déserteur son pays et ses frères d’armes à la veille d’une grande guerre et d’un grand péril. Nous croyons, pour l’honneur du prince, qu’il a informé son gouvernement de ses résolutions, et qu’il est parti muni des autorisations nécessaires. Comment la cour de Berlin a-t-elle pu donner une autorisation semblable sans en faire prévenir la France, ne fût-ce que par l’intermédiaire de l’Italie ? Et si la France a été avertie, comment aurait-elle consenti à cette aventure ? On se perd dans ces contradictions : elles aboutissent en effet à une étourderie contraire aux intérêts de la Prusse, de l’Italie et même de la France, puisqu’elles peuvent susciter en Orient des inquiétudes à la Russie et à l’Angleterre, et préparer ainsi à l’Autriche dans un moment donné de précieux alliés. Si aujourd’hui un conflit éclate entre les Roumains et l’armée turque dirigée sur les principautés, qui viendra en aide à ces malheureuses populations chrétiennes ? Les abandonnera-t-on aux Ottomans ? les rejettera-t-on vers l’ancien protectorat russe ?