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restrictive de l’empereur ne saurait se réaliser que dans un seul cas, celui où la Prusse aurait des succès militaires si décisifs, qu’elle pourrait s’annexer suivant sa convenance d’immenses territoires allemands. Si la victoire définitive appartenait à l’Autriche, l’équilibre ne courrait point un semblable danger. L’Autriche victorieuse serait sans doute coulante à l’égard de l’Italie, et ferait volontiers l’échange de la Vénétie contre les territoires qu’elle pourrait enlever à la Prusse. L’Autriche respecterait les droits acquis des états moyens, conserverait les élémens essentiels de la confédération, et il n’y aurait ni rupture d’équilibre ni modification de la carte au profit exclusif d’une seule puissance. Il n’y a donc que des succès prussiens et des conquêtes prussiennes considérables qui pourraient nous imposer l’obligation de nous assurer une extension de frontières. Jusqu’à présent, cette perspective ne parait guère vraisemblable. Quant à la neutralité, l’empereur la subordonne très logiquement à la conservation de l’équilibre et aussi au maintien de l’œuvre que nous avons contribué à édifier en Italie. L’Italie ne pourrait être mise en danger que par des victoires de l’Autriche. Or, d’après la nature des choses et suivant ce que l’on connaît jusqu’à présent des dispositions de la cour de Vienne, on est fondé à croire que l’œuvre de l’Italie ne serait point compromise par les succès militaires de l’Autriche. Du côté de l’Italie, la cour de Vienne doit appréhender de se heurter à une autre puissance. L’intérêt évident de l’Autriche, si la fortune lui sourit, est de terminer la question italienne de façon à en faire disparaître toute dissidence permanente et toute cause d’antagonisme avec la France. Nous avons donc le droit d’espérer que la France pourra laisser passer cet orage politique en persévérant dans la neutralité attentive à laquelle l’empereur la convie. À vrai dire, l’empereur nous promet la paix, et il importe à ceux qui souhaitent que la France conserve la paix de prêter une foi entière à la promesse impériale.

Nous prenons aussi au mot la politique de neutralité attentive annoncée par l’empereur. Attentive est bien le mot, car jamais circonstances n’ont commandé une vigilance plus active. Ce qui rend la situation difficile, c’est qu’elle est contradictoire en elle-même, et que toute sorte d’accidens extérieurs peuvent la modifier en l’aggravant. La contradiction fondamentale est l’alliance de l’Italie et de la Prusse. Tout ce qu’il y a de libéraux éclairés et honnêtes en Europe donne raison à la revendication italienne, et tort à la revendication prussienne. C’est une lourde charge que l’alliance de M. de Bismark ; elle est d’un poids moral écrasant pour ceux qui ont consenti à la subir. L’Italie a cru nécessaire de s’y résigner, mais il faudrait plaindre les Français qui oseraient en assumer indirectement la responsabilité. Toutes les idées et tous les sentimens qui font souhaiter aux libéraux l’achèvement de l’indépendance italienne se retournent contre la politique représentée par M. de Bismark. Quand on veut voir l’affranchissement de Venise, peut-on contempler sans indignation les violences tyran-