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ajoutera seulement avec une parfaite raison que les abus dont il se plaint ne sont point une nécessité du régime nouveau, qu’ils en sont au contraire la faiblesse et ’écueil. C’est qu’en effet, au-dessus de tous les froissemens partiels et secondaires, l’unité est devenue un fait irrévocable ; elle est dans les idées et elle entre chaque jour dans les mœurs. Jeune ou vieille de cinq ans à peine, elle fait des progrès immenses par les solidarités qu’elle crée, par les satisfactions d’orgueil national qu’elle éveille, par les rapprochemens d’intérêts qu’elle opère, par la richesse qu’elle développe. Naples se plaint, mais elle prospère ; elle a vu augmenter sa population de 40,000 âmes, elle a plus gagné dans quelques années qu’auparavant dans un demi-siècle ; elle se remue, elle s’agite. Le Piémont est attristé et a de l’amertume, mais il sent bien qu’il n’y a plus désormais qu’une destinée commune. La Lombardie est attachée à l’unité de toute la force de ses souvenirs et de sa répulsion contre l’Autriche ; récemment les fils des plus nobles familles milanaises affluaient à Florence pour reprendre leur rang dans l’armée et pour faire la campagne à leurs frais. Florence est italienne avec la grâce facile de son tempérament. Les provinces qui étaient autrefois au pape sont peut-être les plus fidèles et les plus sûres, et à Rome même l’unité n’est point sans trouver de secrets partisans, sans remuer la fibre italienne, je ne dis pas dans la population, ce qui est tout simple, mais jusque dans le monde ecclésiastique le plus haut.

L’Italie, à vrai dire, a pris en quelques années une face nouvelle, l’apparence d’une nation qui vit par la liberté et qui se sent grandir. Le moule nouveau de son existence est sans doute encore imparfait, le vieux moule est brisé. Ce n’est pas en vain que des hommes parlant la même langue vont se mêler sous le même drapeau, que des populations se confondent : l’œuvre qui semblait impossible la veille devient irrévocable le lendemain, et c’est de Naples, c’est d’un des Napolitains les plus sensés et les plus modérés, un de ceux aussi qui en d’autres temps auraient accepté une autre solution, c’est de M. Manna qu’est venue, il y a quatre ans déjà, cette parole : « L’Italie a goûté le fruit défendu, et plus jamais elle ne l’oubliera. Il n’est plus possible de se contenter d’une solution plus modeste ; il n’est plus possible de se plier à un système de division et de séparation. Si cela par malheur arrivait un jour, vous pouvez être certain que le jour suivant les mêmes aspirations se réveilleraient plus impétueuses. Les années d’union laisseraient des regrets inexprimables. Les souffrances, les difficultés, les désordres survenus seraient oubliés. Dans toutes les parties de l’Italie, on ne ferait que célébrer comme une ère de gloire cette époque où les deux portions de la péninsule furent unies sous un même