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« Oui, disait M. Crispi dans une lettre à Mazzini, la monarchie nous unit et la république nous diviserait ; il ne faut pas connaître le pays, il faut ignorer les conditions de l’Europe pour penser autrement. Si aujourd’hui se faisait entendre dans une contrée du midi le cri de république, il serait sans écho ou il ne dépasserait pas le milieu d’où il serait parti ; si ce cri l’emportait dans une ou plusieurs provinces, s’il remplissait tout le territoire au-delà du Tronto ; il ne serait pas répété par les populations du centre de la péninsule, et il serait repoussé par celles du nord. Vous verriez divisé le noyau de 22 millions d’Italiens qui composent le nouveau royaume, vous verriez manquer l’avènement de cette unité nationale qui est votre désir et le nôtre, et qui doit être la gloire de notre génération… »

Le danger en Italie n’est pas dans la prépondérance des passions révolutionnaires réduites à elles-mêmes, séparées de l’instinct national qui les ennoblit quelquefois et leur donne une apparence de force ; il est bien plutôt dans ce fait, que le gouvernement, par ses idées, par ses tendances libérales, est de beaucoup en avant des populations, dans la nécessité de ménager un état moral qu’on ne change pas en quelques mois. L’instinct conservateur est donc puissant chez les hommes politiques, il l’est encore plus dans le pays, et cette révolution, qu’on représente quelquefois comme un déchaînement violent, a été en vérité si peu révolutionnaire qu’elle s’est fait un scrupule de toucher à une foule de vieux abus, de vieilles choses ou à des droits acquis. Encore aujourd’hui, m’a-t-on assuré, les ministres du grand-duc de Toscane renvoyés par le mouvement du 29 avril 1859 sont admis à toucher une pension par un scrupule de légalité, parce que la formule de leur révocation était de celles qui impliquent un traitement de retraite ou de disponibilité. Cet instinct conservateur est une force si l’on veut, mais sait-on la conséquence ? Elle est écrite dans le budget, dans le nombre des employés qui ont servi les anciens gouvernemens et qu’on paie toujours, dans le chiffre des pensions civiles, qui dépasse 20 millions, et voilà justement encore une des sources des déficits sous lesquels plient les finances italiennes.

Rassemblez toutes ces causes de malaise que l’inexpérience des hommes aggrave et que la liberté rend plus sensibles, — anomalies, incohérences froissantes, misères d’argent, misères morales, abus, rivalités, déceptions : oui, tout cela existe, tous les griefs se produisent avec une sorte de candeur, toutes les plaintes prennent une voix ; mais en même temps si, cherchant à dégager le sens de ce concert de récriminations, vous interrogez l’Italien mécontent et frondeur, si vous tâchez de lui arracher l’aveu qu’il préférerait le passé, il se soulèvera, il vous dira qu’il ne veut rien du passé ; il