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renseignemens que nous possédions sur la formation des Évangiles, ne le connaissait pas. Justin Martyr et les Homélies Clémentines, qui peuvent passer pour les témoins sûrs du milieu du siècle, renferment bien deux ou trois passages qui semblent autant d’échos du quatrième Évangile ; en y regardant de près toutefois, on est plutôt conduit à penser que les deux auteurs ont puisé ces passages dans un livre dont le quatrième Évangile a pu se servir lui-même, et cette présomption est amplement confirmée par le fait que Justin et l’auteur des Homélies, quand ils viennent à parler ailleurs des événemens de l’histoire évangélique, ne trahissent jamais la moindre notion des données spéciales à l’Évangile de Jean. Toujours ils restent dans le cadre et au point de vue des synoptiques. On pourrait, il est vrai, alléguer en faveur de l’antiquité de la croyance à l’authenticité du quatrième Évangile la déclaration qui fait partie du dernier chapitre et d’après laquelle cet Évangile aurait eu l’apôtre Jean pour auteur. Ce chapitre dernier ou XXIe est évidemment d’une autre main que le reste du livre[1]. C’est ce qu’aucun critique sérieux ne conteste aujourd’hui. Comme pourtant cet appendice ajouté au quatrième Évangile est fort ancien, on aurait là, semble-t-il, une attestation d’une très grande valeur ; mais cette impression s’affaiblit singulièrement quand on réfléchit qu’après tout l’auteur ou les auteurs inconnus n’ont exprimé là que leur opinion, que rien ne nous dit sur quoi ils la fondaient, et que cette opinion pourrait fort bien n’avoir été formulée de cette manière que parce qu’il y avait des contemporains d’un avis tout opposé. La réalité est qu’il ne manque pas non plus de symptômes d’une négation formelle de cette authenticité pendant la seconde moitié du IIe siècle. Irénée nous apprend

  1. L’unité du livre est certaine en somme ; pourtant le chapitre XXI et quelques notices semées çà et là (notices qui pourraient bien provenir de la même main que ce chapitre) ont été ajoutés au livre primitif. — Il nous faut aussi parler de la fameuse péricope de la femme adultère. Il est bien démontré par les plus anciens manuscrits, auxquels est encore venu s’ajouter le grave témoignage du Sinaïticus, ce manuscrit rival sous le rapport de l’antiquité de celui du Vatican, et découvert, il y a quelques années, au mont Athos, par M. Tischendorf, que ce fragment n’appartient pas à la composition première du quatrième Évangile, dont il rompt le fil, et sur le style duquel il tranche très fortement. Quelques manuscrits le placent à la fin de l’Évangile, d’autres encore dans l’Évangile de Luc. Il est bien à croire que ce bel épisode de la vie de Jésus a fait partie originairement d’un recueil de « dits et gestes » du Christ, et que de bonne heure il fut omis par les copistes comme quelque peu scandaleux. Le rigorisme étroit des temps ultérieurs ne comprenait plus que c’est au saint par excellence que sied le mieux la miséricorde pour les grandes fautes. Pourtant ce fragment surnagea, comme une épave, sur les flots de la tradition chrétienne, et finit par échouer dans une baie ouverte au milieu du quatrième Évangile, où il est resté. Comme il s’agissait de scribes et de pharisiens confondus par le Christ, il alla se placer entre les ch. VII et VIII, où les pharisiens se montrent sous un jour très peu favorable.