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système du quatrième Évangile il faut avant tout et nécessairement « croire que Jésus est le fils de Dieu pour avoir la vie en son nom, » car Jésus n’est pas seulement l’envoyé de Dieu, il est son « fils unique, » son « verbe » co-essentiel, il est le foyer lui-même d’où procèdent tous les rayons possibles de vérité et de charité. Le méconnaître, le repousser, c’est prendre parti, par le fait même, pour les ténèbres, pour le mal moral, et « nul ne vient au père que par lui. » Cela, du reste, découle très logiquement de la théorie alexandrine du Verbe, et si nous voulions préciser, moyennant un passage bien connu des Évangiles synoptiques, la différence de principe qui distingue sur ce point les deux conceptions primitives du christianisme, nous rappellerions le texte où Jésus déclare que « celui qui parle contre le Fils de l’homme sans parler contre le Saint-Esprit, » c’est-à-dire qui, faute de lumières, égaré par de fausses prémisses, se déclare contre la personne elle-même de Jésus sans pour cela mentir à sa conscience, « celui-là peut être pardonné. » Une pareille déclaration n’est pas seulement absente du quatrième Évangile, elle ne pourrait s’y trouver.

Ce n’est donc pas uniquement par la forme philosophique donnée à la doctrine chrétienne que le quatrième Évangile diffère des trois premiers ; cette forme recouvre un autre fond. La personne du Christ surtout est autrement envisagée. Chez les synoptiques, Jésus est essentiellement homme, dans un sens éminent sans doute, et le « Fils de l’homme » dépasse tous les autres par la plénitude de l’esprit divin qui est en lui ; mais enfin entre lui et nous ce n’est qu’une différence de degré. Matthieu et Luc, il est vrai, contiennent, au milieu de traditions de tendance opposée, la donnée commune d’une formation miraculeuse de l’enfant Jésus dans le sein de sa mère ; mais cette notion, ignorée de Marc, n’est après tout que l’expression absolue de la croyance qu’il fut tout pénétré, entièrement déterminé par l’esprit divin : elle ne le sépare pas encore intentionnellement de l’humanité et ne lui attribue aucune préexistence antérieure à sa vie terrestre. Dans le quatrième Évangile au contraire, et quelque obscurs que soient les rapports supposés par l’évangéliste entre l’être surnaturel qu’il fait descendre du ciel et la forme humaine dans laquelle il est venu habiter le séjour terrestre, Jésus a vécu personnellement d’une vie divine bien avant son apparition sur la terre, il est le Verbe personnel de Dieu, qui existait avant le monde et par l’action duquel le monde a été formé. Aussi, de même que le second, mais par un tout autre motif, le quatrième Évangile ne dit-il rien d’une conception miraculeuse dans le sein de Marie. Nous ne pouvons entrer ici dans tous les détails nécessaires à la démonstration complète de cette grave différence : elle ressort suffisamment d’ailleurs de la tendance générale des deux