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l’or. Ce secret, bien simple et peu nouveau, consiste tout uniment à déclarer par une loi que le dollar de papier vaut exactement le dollar d’or, et à donner à ce coup de baguette magique la sanction d’un emprisonnement et d’une amende contre les hommes de peu de foi qui douteraient de son pouvoir. L’ingénieux économiste pense que la valeur du papier-monnaie dépend uniquement de l’opinion des hommes, et que pour la maintenir à son taux officiel il suffit de contraindre cette opinion rebelle. Je m’étonne que, profitant de sa découverte et poussant jusqu’au bout sa doctrine, il n’ait pas jugé à propos d’élever le cours du papier au-dessus du cours de l’or. D’autres suggèrent un remède bien plus simple et plus radical encore. Que le congrès fasse une loi pour ordonner que quiconque aura de l’or sera obligé de le vendre au pair contre du papier au premier acquéreur. Voilà les théories financières qui circulent de ce côté de l’Atlantique. Dans ce pays des lumières, il ne manque pas de gens assez fous pour vous dire : « Ce serait une excellente mesure en vérité ! » M. Stevens, qui est un homme considérable, président du comité des voies et moyens (travaux publics), a coutume de dicter ses volontés à la chambre. Cette fois pourtant l’absurdité était trop forte, et sa proposition a été sans cérémonie mise sur la table par une presque unanimité.

Au reste, l’invention n’est pas neuve, et elle ressemble beaucoup aux doctrines financières du gouvernement confédéré. Il y a un mois (novembre 1864), un journal de Richmond, très proche voisin du gouvernement, indiquait, lui aussi, un remède infaillible et péremptoire au délabrement des finances. « Notre peuple, disait-il, est infatué des espèces sonnantes (hard cash). Puisque rien ne peut le guérir de son ridicule aveuglement, faisons une concession au préjugé public. Que le gouvernement s’en procure en vendant aux Anglais quelques balles du coton qui nous encombre, et qu’il fixe une fois pour toutes le rapport de l’or et du papier. Qu’il offre par exemple un dollar en or contre trois en papier, et que ce soit le taux immuable et obligatoire de toutes les transactions. Quiconque résistera sera expédié aux avant-postes. Le parti est héroïque ; mais aux grands maux les grands remèdes ! » — Ici la folie n’est que ridicule ; là-bas, vous le voyez, elle est tragique et sanguinaire. Depuis l’élection de M. Lincoln, l’or a monté, à Richmond, de 1,000 pour 100 : il s’est élevé un moment jusqu’à 6,000 pour 100. Encore ce cours fabuleux est-il factice, entretenu par la spéculation seule, et ne trouve-t-on pas, dans le peuple même, à échanger du papier contre de l’or à aucun prix. Tout le numéraire qui a échappé aux extorsions du gouvernement est recelé on ne sait où. La monnaie légale est si décriée que, malgré les lois sévères qui en ordonnent la circulation forcée, les objets de consommation les