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à moins d’une solidarité absolue, les mêmes moyens qu’a une banque unique vis-à-vis de ses succursales. On pourrait voir, comme avant 1848 sous le régime des banques départementales, l’abondance dans un endroit et la rareté dans un autre. Il est vrai que cette solidarité absolue qui n’existe pas entre les banques locales de l’Angleterre, on la demande en France comme une innovation heureuse. Que devient alors le principe de liberté et de concurrence ? Et en quoi ce système de banques locales avec solidarité diffère-t-il d’une banque unique avec des succursales ? Il n’en différe évidemment que par un mot, il fera moins bien ce que la banque unique fait beaucoup mieux. Allez demander à la ville de Lille, qui a toujours besoin de numéraire, si elle en trouve moins facilement aujourd’hui avec une succursale de la Banque de France qu’elle n’en trouvait jadis lorsqu’elle avait une banque indépendante. Qu’on interroge d’un autre côté la ville de Toulouse et qu’on lui demande si, lorsqu’elle a trop de numéraire, ce qui lui arrive souvent, elle n’a pas pour l’écouler plus de facilité qu’autrefois.

Certes j’aime beaucoup la liberté, je reconnais ce qu’elle a de fécond dans beaucoup de choses, mais enfin il ne faut pas y être attaché comme à un fétiche et ne pas la discuter dans les diverses applications qu’elle peut recevoir. Or, s’il est démontré qu’avec le monopole par exemple on assure mieux la circulation fiduciaire, qu’on l’étend davantage, et qu’on a mieux qu’avec la liberté la disponibilité du numéraire que possède le pays pour le répandre là, où il est nécessaire, je ne vois pas pourquoi on ne se prononcerait pas pour le monopole. D’ailleurs c’est ici une question tout à fait en dehors du domaine de la liberté. On aura beau faire toutes les distinctions possibles entre le billet au porteur et la monnaie, il n’en est pas moins vrai que pour le public qui reçoit ce billet c’est de la monnaie. Or de même que l’état a le monopole de la fabrication de la monnaie métallique, et que personne ne le lui conteste, il doit avoir aussi celui de la fabrication de la monnaie fiduciaire. Il y a ici un intérêt de premier ordre qui domine tous les autres. Seulement le gouvernement, au lieu d’exercer lui-même ce monopole, le délègue, et il a raison, car il l’exercerait moins bien et pourrait en abuser ; mais il le délègue sous son contrôle et en quelque sorte sous sa responsabilité, et c’est là, entre autres choses, ce qui fait la force des compagnies qui en sont investies. Du reste, c’est une question qui est jugée par l’expérience. Dans presque tous les états, en Russie, en Prusse, en Autriche, en Hollande, en Belgique, et dans le nouveau royaume d’Italie, sans parler de la France et de l’Angleterre, le droit d’émission est l’objet d’un monopole.