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une éclipse. On dit que les portes de l’enfer furent alors ouvertes, que Teamhair fut renversée, et que c’est depuis lors que Teamhair est restée inclinée ; mais le Seigneur ordonna à Patrick de baisser les mains et d’obtenir jugement des brehon d’Érin pour son serviteur assassiné. Patrick consentit à ce que Dieu lui ordonnait.

« En conséquence il choisit pour juge le poète royal de l’île d’Érin, Dubhthach-Mac-ua-Lugair, qui était un vase plein de la grâce du Saint-Esprit. Dubhthach toutefois n’en fut pas d’abord content, et il dit : « Il m’est pénible, ô clerc, que tu te sois adressé à moi. Il est cruel pour moi d’être dans cette cause entre Dieu et l’homme, car si je dis que le crime ne doit pas être expié par une compensation, ce sera une tache pour ton honneur, et tu ne trouveras pas le jugement bon. Et si je dis que la compensation doit être payée et que le crime doit être puni, cela ne sera pas bien aux yeux de Dieu, car ce que tu as apporté avec toi en Érin est le jugement de l’Évangile, et il contient le parfait oubli du mal que chacun peut faire à un autre. »

« — Soit, dit alors Patrick. Ce que Dieu t’inspirera, dis-le, car ce n’est pas toi qui parleras, c’est l’esprit de notre père qui parlera en toi. »

« Patrick bénit la bouche de Dubhthach, et, la grâce du Saint-Esprit étant descendue sur ses paroles, celui-ci prononça le poème suivant :

« — C’est la force du christianisme que les mauvaises actions soient punies ; car où serait la religion, s’il n’y avait pas un pouvoir pour arrêter le vice ? Grâce à une âme étrangère, nous avons appris à connaître le baptême, qui rend aux hommes leur pureté première. La vérité a ici deux faces, car le démon n’a pas droit au pardon au jour du jugement dernier, et il n’en est pas ainsi pour l’homme. Depuis le crucifiement, on a droit au pardon aussi longtemps qu’on ne retombe pas dans le mal.

« Écoute-moi, ô Dieu, dirige ma route ! Les anciens pères, les pères au puissant savoir, n’ont pas perverti les jugements du Seigneur, et je ne suis pas obligé d’accumuler les injures sur les crimes sanglants des hommes. Les deux lois contiennent des exemples de vengeance : je puis le prouver par mes joues, je ne souillerai pas leur blanc honneur ; mais il y avait dans la première loi des hommes d’Érin des choses que Dieu n’a pas daigné accorder dans sa loi nouvelle. La Trinité n’a pas daigné pardonner à Adam, malgré la toute-puissance céleste. La grâce que Dieu lui a faite a été la vie éternelle. Laissez donc mourir quiconque tue un être humain, fût-ce le roi qui court après une couronne à la tête d’une armée, fût-ce la personne la plus insignifiante et la plus impuissante, fût-ce le plus noble des savants. Toute personne vivante qui donne la mort doit, quand elle est jugée, subir la mort. Celui qui laisse un criminel échapper est lui-même coupable et doit subir la mort d’un criminel. Au jugement de la loi, dont, comme poète, j’ai reçu la tradition, il est mal de tuer par une basse action. Je prononce l’arrêt de la mort, de la mort pour le crime de quiconque tue mais Nuada est donné au ciel, il n’est pas donné à la mort[1]. »

« Cette sentence rendue, Patrick demanda aux hommes d’Érin de se réunir en un lieu où il pût conférer avec eux. Ils y vinrent, et l’Évangile du Christ fut prêché à tous. Or, quand les hommes d’Érin eurent entendu parler

  1. Niiada, dit la glose, fut condamné à mort, et Patrick promit de sauver son âme.