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sible, de prédire jusqu’où elle entraînera la science. » — « Chaque être, dit-il ailleurs, est l’analogue de tous les êtres c’est pourquoi l’existence nous paraît tout à la fois isolée et enchaînée. Si l’on suit trop l’analogie, tout s’identifie et se confond; si on l’évite, tout se disperse à l’infini. Dans l’un et l’autre cas, l’observation est comme frappée de torpeur, tantôt par excès de vie, tantôt par une sorte de mort. » On ne peut pas dire qu’il ait ignoré le péril, voyez cependant comme il s’y jette de gaieté de cœur.

La métamorphose est partout, selon Goethe; elle est dans chaque être organisé, plante ou animal. Seulement, dans les êtres inférieurs, elle s’indique et ne s’achève pas; toutes les parties demeurent assez semblables entre elles pour que l’une puisse remplir les fonctions de l’autre et se substituer à elle. Il n’y a de différences tranchées que dans les animaux les plus parfaits. Ici la loi de la métamorphose va jusqu’au bout, elle commence dès le moment de la conception; l’être complet résulte d’une transformation des parties identiques. Dans ces organisations régulières, tous les organes ont une forme, une place, un nombre déterminé. C’est cela qui nous explique cette harmonie parfaite que nous attribuons à une intention bienveillante de l’activité créatrice. Nous ne cessons d’admirer l’accord parfait entre toutes ces parties, qui nous semblent non-seulement hétérogènes, mais encore antagonistes, tant leurs formes, leur destination, leurs fonctions, sont différentes; mais nous sommes ici sous l’empire d’une illusion. Au fond, toutes ces parties sont homogènes originellement identiques, elles se sont modifiées insensiblement, mais elles n’ont changé que d’apparence[1]. Ainsi le principe des métamorphoses réduit chaque être organique à sa plus simple expression; la fleur n’est qu’un cotylédon transformé, l’animal une vertèbre modifiée; chaque être est dans un travail perpétuel de formation et de transformation. Néanmoins ce travail suit certaines lois universelles, constantes; c’est ce qui permet d’établir un type. Ce type lui-même est d’une telle élasticité, d’une telle docilité aux circonstances extérieures de sol, de climat, d’habitudes, de nourriture, qu’il en résulte des genres et des espèces.

Tels sont les principes d’où dépend toute la science des êtres organiques. Identité originelle des parties, transformation simultanée ou successive, distinction des parties dans les êtres supérieurs, voilà ce qui constitue l’individu. Constance, universalité, développement régulier de ce travail de transformation, voilà ce qui constitue le type. Élasticité du type dans lequel la nature peut se jouer à son aise selon la diversité des circonstances extérieures, voilà ce qui explique l’espèce.

  1. Œuvres d’histoire naturelle, trad. Ch. Martins, p. 16, 78, etc.