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et traduit dans les plus élégantes formules les beaux résultats de cette méthode l’unité organique, qu’il appelle unité de type, et toutes les lois qui en dépendent, celle des métamorphoses, la connexion des parties, le balancement des organes[1]. Il n’est resté étranger à aucune de ces grandes conceptions qui ont fondé ou renouvelé l’anatomie philosophique; il les a toutes pressenties ou devinées dans le même temps que ceux qui en ont été les plus grands interprètes. Il s’est emparé le premier dans ce siècle, avec une force et une autorité qu’aucun autre jusqu’à Geoffroy Saint-Hilaire n’a égalées, de cette idée maîtresse de la science, à savoir que, pour l’accomplissement des actes de la vie, la nature semble s’être dissipée dans la profusion des détails, dans la multiplicité des organes et la variété des formes, mais que, pour le regard de l’observateur attentif au fond des choses, cette diversité de formes et d’organes recouvre une unité mystérieuse, sensible par ses effets, qui rattache les êtres les uns aux autres et les domine tous, qu’une industrie suprême compense par la généralité des lois l’incroyable fécondité des combinaisons, que partout, prodigue de variétés, avare d’innovations, l’énergie créatrice diversifie à l’infini la vie en lui assignant, dans quelques conditions très simples et très générales, une limite qu’elle ne peut franchir, enfin que tout, dans le cosmos, semble obéir à des règles uniformes et constantes qui, bien observées, saisies dans leur simplicité essentielle à travers le tumulte des faits et la complexité des phénomènes, nous révèle le procédé fondamental, la loi même du travail de la nature. Cette conviction, qui anime tous les écrits de Goethe et inspire tous ses travaux, n’est-elle pas en soi le résultat le plus élevé de l’étude du monde organique et la marque même de l’esprit scientifique? Si elle s’est égarée en s’exagérant sous l’obsession de l’idée spinoziste, si elle a fini par aboutir à une conception panthéistique de la nature, c’est qu’alors Goethe a cessé d’être fidèle à ce même esprit scientifique qui n’autorise pas de semblables conclusions. Le métaphysicien a fini par entraîner le naturaliste.

Une des parties les plus remarquables de sa philosophie naturelle est sans contredit l’ensemble de ses vues sur la méthode.

  1. Peut-on exprimer avec plus de grâce et de précision à la fois cette loi du balancement des organes que ne l’a fait Goethe dans les lignes suivantes : « La nature, comme doit le faire un bon administrateur, s’est fixé une certaine somme à dépenser, un certain budget; elle se réserve un droit absolu de virement d’un chapitre à un autre, mais elle ne dépasse jamais dans les dépenses le total fixé. Si elle a trop dépensé d’un côté, elle fait ailleurs une économie égale, et toujours elle arrive à une balance en équilibre parfait. » (Mémoire de Goethe sur la discussion de Geoffroy Saint-Hilaire et de Cuvier.)