Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et à le déterminer à s’enfuir à Taïf, où se trouvaient ses parens et ses richesses. Le gouverneur demanda à Constantinople la destitution du chérif; celui-ci, du fond de sa retraite, semait l’agitation dans le pays et ne tenait aucun compte de l’autorité du sultan. En même temps il excitait le fanatisme dans toute la péninsule en répandant le bruit que les infidèles allaient conquérir Constantinople et renverser l’islamisme. C’était au moment de la campagne de Crimée. Un ordre du sultan ordonnant la fermeture des bazars d’esclaves vint, vers le milieu de l’année 1855, faire éclater la guerre dans le Hedjaz. La garnison turque fut obligée de s’enfermer dans les forts de La Mecque. Les Algériens, comme sujets de la France, y furent insultés. Médine se soulevait, et le nom du sultan n’y était plus prononcé dans les prières publiques. Sur ces entrefaites arriva la nouvelle de la destitution de Moutaleb, remplacé par le vieil Ibn-Aoun, qu’on rappelait de l’exil. Le seul événement remarquable de la guerre provoquée par la fermeture des bazars d’esclaves fut une tentative infructueuse des Turcs pour s’emparer de Taïf, refuge de Moutaleb. L’infanterie et la cavalerie du sultan y furent mises en déroute par les Arabes. Le chérif destitué, après une courte apparition à La Mecque, n’en restait pas moins toujours enfermé dans Taïf, ce qui permit à Ibn-Aoun d’entrer dans la ville sainte le 17 avril 1856. Quant à Moutaleb, il finit par être pris et conduit à Salonique: On ne s’attendait pas à une solution aussi prompte, et dans la prévision de la prolongation de la guerre on avait parlé d’une intervention de l’Égypte[1].

Cependant la réinstallation d’Ibn-Aoun n’eut point pour effet d’accroître l’autorité de la Turquie dans le Hedjaz. Le gouverneur turc de Djeddah fut obligé de laisser le commerce des esclaves se continuer comme auparavant. C’est aux puissances européennes que les Arabes attribuaient les tentatives de suppression de ce trafic. La nouvelle, qui se répandit bientôt après, de la prochaine organisation d’un service de bateaux à vapeur dans la Mer-Rouge jeta l’alarme parmi les propriétaires et les capitaines des barques arabes, qui jusqu’alors avaient fait seules le cabotage dans ces eaux. A Djeddah en particulier, les maîtres de ces barques, presque tous originaires de la contrée d’Hadramout, avaient eu depuis quelque temps des démêlés très vifs avec le consulat britannique. En outre il s’était établi dans cette ville, depuis une dizaine d’années envi-

  1. On sait que, par une disposition spéciale des arrangemens de 1841, l’Égypte est tenue à fournir annuellement un contingent de 400 hommes pour le service de l’Arabie. En 1853, des nègres y avaient été envoyés par le vice-roi Abbas. En 1855, 280 de ces nègres se révoltèrent dans l’Yémen contre le gouverneur Mohammed-Pacha et se retirèrent dans la montagne.