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Marie-Thérèse ne demande cas à sa fille de jolis billets, tournés à la française : ce sont ici lettres intimes, traitant d’affaires ou d’intérêts de famille. Les lettres publiées à Paris nous offrent une Marie-Antoinette très désireuse de paraître infiniment spirituelle, et qui sollicite, pour le succès de ces petites pièces écrites avec art, une place dans notre littérature épistolaire. Cela n’est pourtant pas d’accord avec ces lignes de Marie-Thérèse : « Vous perdrez tous vos soins si vous prenez la plume ; ni le caractère ni la diction ne préviendront pour vous. » Cela n’est pas d’accord non plus avec l’impression générale qu’on reçoit des lettres publiées à Vienne, Ici vous ne trouverez rien, à vrai dire, de ce qu’on appelle le charme littéraire, mais vous ferez en revanche de précieuses découvertes morales.

En face de la vie réelle, la vraie Marie-Antoinette a l’expression forte et grave. Elle sent vivement et elle écrit de même, soit qu’elle rende sa profonde et inébranlable affection envers sa mère où ses propres sentimens maternels, soit que sa généreuse fierté répugne à faire un pas vers Mme Du Barry, et que, contrariée sur ce point par l’impératrice, elle aille jusqu’à la colère méprisante à l’égard de « la sotte et impertinente créature, » soit qu’une haine instinctive l’anime, bien avant l’affaire du collier, contre le cardinal de Rohan, soit enfin qu’elle saisisse et montre ce qu’elle aperçoit de redoutable dans les dispositions ou la conduite de ceux qui l’environnent. Une surprenante clairvoyance lui tient lieu alors des dramatiques pressentimens qu’ailleurs on lui prête. Non, ce n’est pas la même plume qui, peu de temps après les trop spirituels portraits de Monsieur, du comte d’Artois et des belles-sœurs, a écrit ces lignes sanglantes (page 149 de la correspondance de Vienne) sur « la marche souterraine et quelquefois très basse du comte de Provence, » puis ce cruel aveu : « Je suis convaincue que, si j’avais à choisir un mari entre les trois frères, je préférerais encore celui que le ciel m’a donné. » Voilà de durs mots assénés, qui révèlent un vif instinct de dignité soutenu par une franche nature. La personne qui se déclare ainsi, jusqu’à reconnaître et avouer ses tristes blessures, a pris la vie au sérieux, quelles que soient certaines apparences, et ne cherche à tromper ni soi-même ni les autres en s’abaissant aux faux-semblans ou au bel esprit. Ici respire la vérité morale ; ici nous avons, pour objet de nos sympathiques hommages et déjà de notre pitié, un vrai cœur, une vraie chair, un vrai sang.

Telle est la femme ; voici la reine. À la date du 11 mai 1774, au lendemain de la mort de Louis XV, le recuel de M. d’Hunolstein a une lettre où Marie-Antoinette écrirait à sa mère : « Nous avions beau nous attendre à l’événement, devenu inévitable ; le premier moment