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ans aux charges de la guerre, et qui la semaine dernière valait encore 50 pour 100, vient de tomber soudainement à 34 ou 35 pour 100. L’or s’est élevé jusqu’à près de 300 sur le marché de-New-York. On se demande si ce n’est pas le commencement de la grande débâcle. À supposer même que le cours de l’or doive rester quelque temps stationnaire, il est difficile que le gouvernement ne perde pas bientôt la faculté de battre monnaie avec du papier. Jusqu’ici on a pourvu au présent, mais sans souci de l’avenir. On a emprunté démesurément et sous toutes les formes. Je trouve des optimistes qui me disent d’un air de patriotisme offensé : « En trente ans, la dette sera payée. » Alors pourquoi ces mesures extrêmes qui avouent la détresse ? Pourquoi l’emprunt de 200 millions de dollars voté le 9 mars dernier et payable en papier porte-t-il un intérêt de 6 pour 100 en or, c’est-à-dire, au taux actuel, un intérêt véritable de 17 ou 18 pour 100 ? Pourquoi le remboursement, promis dans un délai de trente ou quarante années au plus, doit-il se faire en or, c’est-à-dire au double ou au triple du capital emprunté ? Le trésor fédéral reçoit 200 millions de piastres, un milliard de notre monnaie ; mais il les reçoit en papier, c’est-à-dire qu’il aura 400 millions tout au plus pour un milliard dont il se reconnaîtra débiteur. De plus, il lui faudra chaque année 60 millions en espèces pour payer les rentes, ce qui, dans le cas même ou l’or redescendrait au cours de 200, ferait 12 pour 100 d’intérêt. À ces déboursés annuels ajoutez l’amortissement du capital fictif que l’on reconnaît au créancier, ajoutez enfin l’immunité privilégiée de l’impôt sur le revenu, et vous aurez une idée des conditions exorbitantes, auxquelles se contractent les emprunts des États-Unis. Aussi les pessimistes prédisent-ils qu’après la guerre, quoi qu’il arrive, la banqueroute est certaine. La bonne politique, à défaut de conscience, ordonnerait de sauver à tout prix le crédit et la probité, de l’état ; mais les Américains n’ont qu’à un faible degré la notion de l’état : ils ne sentent pas leur parole engagée avec la sienne. L’état n’est pour eux qu’un étranger dont ils veulent être indépendans, parce qu’ils n’ont pas besoin de son appui. Le sentiment national existe, mais le lien national n’est pas encore formé. Capable à l’occasion de grands sacrifices, mais plus dévoué à la patrie que fidèle, à l’état, l’Américain ne peut le concevoir comme une personne morale dont il ait à conserver l’honneur et à respecter les engagemens. Il est bien à craindre qu’au jour de la liquidation dernière le peuple ne se sente lié par aucun vote des législatures précédentes, par aucune signature de ses magistrats, et ne préfère une banqueroute commode à l’ennui des impôts prolongés. On dit que la guerre est utile pour fortifier l’esprit national, qu’il est bon