Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/835

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Creutz, ambassadeur de Suède à Paris depuis plus de dix ans déjà, écrivait au jour le jour, pour l’instruction du roi son maître, des dépêches exemptes de vaines accusations ou de réticences calculées. A tout prendre, c’est par lui que Gustave III était le mieux instruit. Le roi de Suède put avoir à certains momens des confidens plus intimes en vue d’informations toutes spéciales ; il n’en connut pas de plus constamment attentif et zélé jusqu’à l’année 1783, où il rappela Creutz à Stockholm pour lui confier son ministère des affaires étrangères. Nous avons dans la correspondance du comte avant cette époque un tableau complet, animé, de toute la première moitié du règne de Louis XVI. Creutz connaît bien chez nous la cour et la ville ; son apparente bonhomie, qui recouvre une finesse réelle, le fait partout accueillir. Bel esprit et poète, il traite d’égal à égal avec les gens de lettres ; initié aux amitiés utiles que Gustave III entretient chez nous, il sert d’intermédiaire habituel entre le roi son maître et les comtesses de La Marck, de Boufflers, de Brionne, surveille la faveur de ces grandes dames auprès du roi et de la reine de France, auprès des princes ou des principaux ministres, et, suivant les alternatives de cette faveur, suscite ou retarde les messages particuliers de Stockholm. A l’égard de Louis XVI et de Marie-Antoinette, Creutz est d’autant plus respectueux dans sa correspondance qu’il a réellement une certaine intelligence des difficultés au milieu desquelles le nouveau règne s’est ouvert, et même le sentiment d’un grand danger planant au-dessus de la situation générale. Il exprime les divers reproches qui lui semblent mérités ; mais il se garde bien de passer sous silence les traits honorables d’une partie du règne, si pleine d’intentions généreuses et même d’énergiques réformes. Rien n’est plus touchant pour les époques solennelles que la lecture de telles dépêches, qu’on retrouve, après un siècle, chaudes encore de l’émotion du moment. Par les yeux d’un témoin oculaire et bien instruit, on voit chacun de ces jours écoulés apporter son tribut de réalités présentes au développement insensible de grands événemens dont on sait à l’avance la formidable issue. En vertu de cette prescience, on juge plus sûrement les actions humaines, et le sentiment de la pitié grandit à la vue de nobles efforts qui ne détourneront pas une destinée terrible.


«… Le roi observe la plus grande économie, écrit le comte de Creutz dès le 15 mai 1774. Il veut que la famille royale n’ait plus qu’une seule table, et l’on dit qu’il réformera le département des menus plaisirs, auquel sont affectées des sommes énormes. Il réformera aussi deux équipages de chasse, celui du daim et celui du sanglier, ce qui surprend d’autant plus