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sage des Lettres d’un Voyageur que George Sand adressait au maître lui-même : « Nevers, ce beau jeune homme en satin blanc qui a, je crois, quatre paroles dans le libretto, vous avez su lui donner une physionomie gracieuse, élégante, chevaleresque, une nature que l’on chérit malgré son impertinence, et qui parle avec une mélancolie adorable des nombreux désespoirs des dames de la cour à propos de son mariage. »

L’Africaine a commencé son tour d’Europe. Nos correspondances de Londres ne nous parlent que de l’immense succès remporté à Covent-Garden par cette musique splendide dont une exécution supérieure, et par momens, grâce à la Lucca, presque idéale, venait encore rehausser l’éclat. On sait de quelle réunion de talens, partout ailleurs impossible, se composent ces fameux groupes qu’en Angleterre la saison rassemble, comment, par l’initiative vigoureuse d’un directeur intelligent, sous l’impulsion organisatrice d’un Costa, les résultats qui à Paris coûtent des mois, souvent des années, s’obtiennent dans l’espace de quelques semaines. Trois répétitions générales ont suffi à cet orchestre pour rendre le chef-d’œuvre de Meyerbeer de façon à émerveiller ceux qui déjà l’avaient entendu chez nous. « Dans le chœur des évêques et tout le magnifique finale du premier acte, nous écrit-on, vous saisissez mille nuances qui à Paris échappent à l’attention ; mais pour ce qui est de la prodigieuse sonorité des instrumens à cordes dans la fameuse ritournelle aux dix-sept mesures, rien ne saurait vous en donner une idée. Et cependant, comme tous les prodiges de ce monde, celui-ci s’explique très naturellement. Cet orchestre de Covent-Garden ne vaut pas seulement par le mérite des exécutans, mais aussi par l’excellence des instrumens de prix qu’apportent avec eux tous ces artistes dont quelques-uns touchent jusqu’à 2,000 francs chaque mois[1]. L’orchestre de Costa s’est donc surpassé, les chœurs allaient d’inspiration. Vous connaissez de Vienne le ténor Wachtel, voix superbe à la Donzetti, qui fait Vasco, et de Berlin la Lucca, qui joue et chante Sélika en grande artiste que le cher maître avait devinée. Vous apprendrai-je que cette voix si merveilleusement accentuée, cette organisation vibrante, spontanée, de tant de puissance et de charme, a été cette fois le véritable succès de la saison, que l’étoile de la Patti elle-même a rudement souffert du voisinage de ce nouvel astre, dont l’influence n’a cessé de faire monter le flot d’or des recettes au-delà de toutes les proportions ordinaires et extraordinaires ! Ce sont là menus détails que sans doute vous n’ignorez pas, et qu’il importe de connaître pour se rendre compte et de l’attente du public, et de sa curiosité fiévreuse, et du triomphant effet produit. « Les êtres que crée l’esprit ne sont point d’argile, a dit Byron, ils sont la reproduction de l’immortelle flamme qui vit en nous. » C’est ainsi que

  1. Chez nous, à l’Opéra, chacun des six solistes principaux ne reçoit par an que 2,500 francs. C’est le maximum. On peut consulter a ce sujet l’intéressant mémoire en demande d’augmentation d’appointemens présenté à M. le directeur de l’Opéra par les délégués des musiciens composant l’orchestre de l’Académie impériale.