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tre. C’était à qui s’écrierait en Europe : « L’Autriche n’existe plus ! » Au dehors, on prenait la campagne d’Italie pour un premier « coup de cloche, » et la complète dissolution de l’empire n’apparaissait plus que comme une question de temps. Au dedans, c’était pire. Tant qu’elle put régner par la crainte, l’Autriche évita si bien toute occasion de se faire aimer, que nulle part ses défaites ne furent plus joyeusement reçues que chez ses propres peuples. La Hongrie se trouvait en droit de regarder Solferino comme un bienfait, et, l’exagération s’en mêlant, elle conclut d’un fait isolé à un nouvel ordre de choses. De quelque côté qu’on envisageât la situation de l’empire, on ne voyait que faiblesse et malheur, faiblesse surtout, car c’est la plus terrible des faiblesses que de ne pas oser être généreux, et l’Autriche se trouvait en telle passe que son moindre acte de justice se traduisait en aveu de détresse. La nécessité semblait si rigoureuse qu’on ne tenait plus compte à l’empereur ni à ses ministres d’aucune décision honnête. Dans ces conditions, se passer de qui ou de quoi que ce fût était une force, et ceux qui se reporteront par la pensée à la première session du parlement viennois et à l’opinion de toute l’Europe sur l’Autriche devront avouer qu’il y avait du courage à ne pas acheter à tout prix une réconciliation avec les Hongrois ; Ceux-ci furent si étonnés de l’attitude expectante de l’empire et crurent si peu à la possibilité de la maintenir, que leur étonnement et leur incrédulité même prouvent la bonne politique de M. de Schmerling, déclarant qu’à Vienne on « pouvait attendre. » Au bout de deux années cependant, parmi les pires ennemis de l’empire, beaucoup reconnaissaient qu’il « y avait une Autriche. » Le moment vint même où l’empire eut assez reconquis, retrouvé de prestige pour pouvoir se permettre une politique généreuse. Autant il avait été habile d’attendre tant que le fait de l’attente constatait une réelle puissance, autant il importait de n’attendre plus dès le moment où cette puissance était reconnue. On ne peut trop se hâter d’être généreux.

En l’espace de ces deux ans, bien des choses s’étaient modifiées, et, sans vouloir préciser tel état de l’opinion à tel jour donné (ce qui est après tout une affaire d’appréciation personnelle), j’affirme sans crainte qu’entre Vienne et Pesth les relations en 1864 et au commencement de 1865 étaient tout autres qu’elles n’avaient été en 1862 et 1863. On ne se niait plus ; moins que jamais, il est vrai, on pouvait discuter. On avait changé de ministre, de chancelier, de Judex curiœ, remplaçant le comté Szecsen par le comte Maurice Esterhazy, le comte George Apponyi par le comte Andrasy, et le baron Vay par le comte Forgacs, et celui-ci enfin par le comte Hermann Zichy ; mais à travers tout cela on avait créé et maintenu le provisorium, et je ne sache pas que sous la main du comte Palffy