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rouché, c’est la source limpide tamisée par la végétation, c’est la brise chargée de parfums sauvages. Tout cela vient de là-haut ; le poète sent un courant qui l’attire. Écoutons-le :

Moi, je suis ce courant qui m’attire et me pousse ;
Repris par la jeunesse et l’instinct d’autrefois,
Je marche allègrement, car j’ai senti les bois.
Cinq coureurs inégaux dont la gaîté me gagne
Bondissent près de moi, vrais fils de la montagne.
L’aîné, déjà, me prête une robuste main ;
La mienne au plus petit allège le chemin,
Et tous, joyeux, grimpans, chantans, roulés dans l’herbe,
Nous allons par les fleurs, et chacun fait sa gerbe.
Au détour d’un rocher, le coteau m’apparaît
Où trôna seul jadis le roi de la forêt.
Étonnés, dans une ombre où tout chante et fourmille,
Trouvant au lieu du père une immense famille,
Nous entrons sous un dôme où de minces piliers
Formaient d’étroits arceaux et poussaient par milliers.
Les rameaux enlacés verdoyaient sur nos têtes ;
Tout un peuple d’oiseaux y célébrait ses fêtes.
Les nids et les essaims, effrayés par momens,
Nous poursuivaient de cris et de bourdonnemens.
Le bois se défendait, vierge encor de visites.
D’inextricables nœuds, ronces et clématites,
Le troène et le buis, nous retenaient captifs.
Les hêtres et les pins, les érables, les ifs,
Semés là par le vent des montagnes prochaines,
Y luttaient de vigueur avec les jeunes chênes.
Tout vivait sur ce sol que j’avais laissé nu.
L’homme absent, il semblait que Dieu fût revenu ;
Tout avait refleuri sous sa main paternelle.
C’était au lieu d’un chêne une forêt nouvelle.

Cette forêt, ô poète, ne le voyez-vous pas ? c’est notre société moderne, héritière de la révolution. Vous avez pleuré la mort du chêne, saluez ses rejetons sans nombre. Une France vieillie a disparu, une France nouvelle s’épanouira plus riche et plus vivace. Vous avez raison, dans les vers qui suivent, de rêver un bel avenir pour la jeune forêt et de lui prédire des journées heureuses. C’est l’avenir que le poète doit chanter. Vous laissiez trop croire jusqu’ici que vous vous enfermiez à jamais dans le culte du passé, que vous aviez résolu de vivre et de mourir avec le druide de la forêt celtique, avec ce dernier des druides dont vous n’avez pas craint de célébrer le suicide. Des admirateurs intéressés et suspects vous séparaient de vos amis véritables, de vos compagnons de labeur et d’espérance ; les méditations du silence vous ont été plus salutaires que l’excitation des partis. Voilà les conseils qu’un génie familier aurait dû adresser à M. de Laprade dans cette pièce, si belle d’ail-