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ce monde extérieur agisse sur l’âme pour qu’elle devienne capable de penser : il faut par conséquent un intermédiaire entre le. monde extérieur et l’âme. Cet intermédiaire est le système nerveux, et comme toutes les sensations venant par des voies différentes ont besoin de se lier et de s’unir pour rendre possible la pensée, il faut un centre, qui est le cerveau. Le cerveau est donc le centre où les actions des choses externes viennent aboutir, et il est en même temps le centre d’où partent les actions de l’âme sur les choses externes.

Ce n’est pas tout. On connaît ces deux lois qui ont pu être exagérées sans doute par l’école, empirique et sensualiste, mais, qui restent vraies dans leur généralité : l’âme ne pense pas sans images, l’âme ne pense pas sans signes. Les images et les signes (qui eux-mêmes ne sont que des images) sont donc les conditions de l’exercice actuel de la pensée. En d’autres termes, il faut que les actions, quelles qu’elles soient, exercées sur le cerveau par les choses externes, s’y conservent d’une certaine manière pour réveiller dans l’âme les images sensibles sans lesquelles la pensée est impossible, d’où il suit que le cerveau n’est pas seulement l’organe central des sensations, le sensorium commune ; il est l’organe de l’imagination et de la mémoire, auxiliaires indispensables de l’intelligence. On comprend donc que l’être humain, dans les conditions actuelles où il est placé, ne puisse pas penser sans cerveau. La pensée résulte du conflit qui s’établit entre les forces cérébrales dépositaires des actions extérieures et la force interne ou force pensante, principe d’unité, seul centre possible de la conscience individuelle. En ce sens, il n’est pas inexact de dire que la pensée est une résultante, car elle n’existe en acte qu’à la condition que le système cérébral auquel elle est liée soit dans un certain état d’équilibre et d’harmonie. Si l’organe des images et des signes est altéré ou bouleversé, la force pensante ne peut pas à elle toute seule exercer une fonction qui, selon les lois de la nature, exige le concours des forces subordonnées. On voit en quel sens le cerveau peut être appelé l’organe de la pensée.

Mais, s’il en est ainsi, le doute le plus grave vient envahir l’âme et la jeter dans un abîme de mélancolique rêverie. Si le cerveau est l’organe de l’imagination et de la mémoire, comme l’expérience semble bien l’indiquer, si l’âme ne peut penser sans signes et sans images, c’est-à-dire sans cerveau, qu’advient-il le jour où la mort, venant à dissoudre non-seulement les organes de la vie végétative, mais ceux de la vie de relation, de la sensibilité, de la volonté, de la mémoire, semble détruire ces conditions inévitables de toute conscience et de toute pensée ? Sans doute l’âme n’est pas détruite