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« Vrois-tu que le saint évêque ordonne quelqu’un ? » Quand Paulinien fut ordonné, on dénonça l’acte comme anti-canonique pour deux raisons : d’abord à cause de la trop grande jeunesse du nouveau prêtre ; ensuite, parce qu’il n’appartenait pas à un évêque de conférer les pouvoirs spirituels dans un diocèse étranger et pour les besoins de ce diocèse sans le consentement de l’évêque du lieu. On répondait sur le premier point que, s’il y avait par l’âge de Paulinien infraction aux canons, Jean en avait donné l’exemple tout le premier en détournant du diocèse de Tyr, pour le faire prêtre de Bethléem, un diacre plus jeune que celui-ci, personnage hargneux et bavard, dont il prétendait opposer l’éloquence à celle de Jérôme, ou, pour mieux dire, qu’il chargeait de dénigrer jusqu’aux portes de leur monastère Jérôme et ses amis. On répondait, quant au second grief, que Paulinien n’avait pas été ordonné dans le diocèse de Jérusalem, mais dans celui d’Eleuthéropolis, et avec approbation, ou du moins sans opposition, de la part de l’évêque du lieu ; que de plus Épiphane l’avait choisi pour l’attacher à sa personne et à son église, sauf les cas de force majeure que justifiait la charité évangélique. Ces réponses ne pouvaient contenter Jean, qui avait pris son parti de se plaindre et de remplir l’Orient et l’Occident du bruit de ses réclamations. Il lança donc sans plus tarder l’excommunication en forme contre Jérôme, Paula, leurs subordonnés et adhérens, et contre tous les habitans de Bethléem qui reconnaîtraient Paulinien pour prêtre : or ils étaient nombreux dans la ville, où les bienfaits et la sainteté des nouveaux venus leur avaient gagné beaucoup de cœurs. Par suite de cette mesure, non-seulement les prêtres de Bethléem interdirent plus étroitement que jamais l’accès de l’église aux reclus des monastères, mais ils exigèrent de leurs propres paroissiens, avant de les laisser entrer, une réponse catégorique à cette question : « croyez-vous que Paulinien soit un véritable prêtre ? »

Sur ces entrefaites, des phénomènes effrayans, qui semblaient être les précurseurs d’une grande catastrophe, parcoururent presque tout l’Orient. Une nuée de feu parut sur Constantinople ; des tremblemens de terre se firent sentir en Cappadoce, en Syrie, en Palestine. A Bethléem, le jour de la Pentecôte, le soleil s’obscurcit tout à coup, et la ville, enveloppée d’épaisses vapeurs, fut plongée dans une obscurité complète. Les habitans, glacés d’effroi, désertaient leurs maisons, et dans les rues, où l’on se reconnaissait à peine, un seul cri sortait de toutes les bouches : « La nuit éternelle commence ; le dernier jugement est proche ! » Il y avait alors dans la ville de nombreux catéchumènes, hommes et femmes, que les moines préparaient à un prochain baptême ; croyant le jour suprême arrivé,