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conservateurs par sa déclaration contre les traités de 1815. On ne pouvait non plus se dissimuler que l’agitation allemande pour les duchés présentait un caractère et invoquait un principe que l’Autriche, moins que toute autre puissance au monde, était libre d’admettre. Dans un de ces a parte dont il a été parlé plus haut, et où le gouvernement de Vienne trahissait de temps en temps le grand malaise qu’il éprouvait, le comte Rechberg déclarait à lord Bloomfield (dépêche du 31 décembre) « que personne ne regrettait plus que lui la tournure que semblait prendre l’affaire danoise, rien n’étant plus éloigné des désirs et des intérêts de l’Autriche que de soulever la question des nationalités… » A tous ces scrupules de conduite et de principe venait s’ajouter encore une crainte bien autrement grave et sérieuse, la crainte de troubler la paix du monde et de donner le branle à une conflagration européenne.

D’un autre côté cependant, comment rompre brusquement en visière avec les aspirations de la grande patrie, qu’on avait jusqu’ici flattées et encouragées ? Comment permettre à la Prusse d’exploiter à elle seule et au profit de son « hégémonie » un mouvement aussi populaire ? Comment surtout s’aliéner les sympathies de la Germanie à un moment où l’on en avait plus besoin que jamais, à la veille peut-être du jour où l’on aurait à réclamer son aide pour la défense du Mincio ? Depuis le discours impérial français du 5 novembre, les hommes d’état autrichiens demeuraient obsédés par la pensée qu’une seconde guerre d’Italie était imminente, qu’au printemps une armée française descendrait de nouveau dans les plaines de la Lombardie, et en passant en revue les alliés possibles dans la lutte qu’ils croyaient proche, ils ne trouvaient guère que l’Allemagne sur laquelle on pût compter avec quelque assurance, pourvu qu’on lui donnât les gages d’une politique « nationale » sur l’Eider. Au milieu de ces perplexités, de ces tiraillemens en sens divers, le gouvernement autrichien crut que le plus sage était de s’unir à la Prusse et de tâcher de résoudre avec elle tant bien que mal, très probablement beaucoup plus mal que bien, le problème si ardu et si épineux du Slesvig-Holstein. L’action commune avec la Prusse présentait déjà, et dès le premier abord, un avantage considérable : c’est qu’on aurait, dans tous les cas, avec qui partager l’impopularité d’un arrangement qui, pour satisfaire à un degré quelconque la diplomatie européenne, devrait nécessairement mécontenter au plus haut point « l’honneur et le droit allemands, » — et le cabinet de Vienne ne pensait guère alors à un autre dénoûment possible. De plus, en marchant de concert avec Berlin, on était au moins sûr de ne jamais s’avancer au-delà de ce que pourrait permettre la Russie, car M. de Rechberg, beaucoup plus clairvoyant en cela que le ministre britannique, se doutait bien que M. de Bismark ne ferait