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que dans la parole. Nous n’avons point à décrire d’ailleurs des rangées, de vastes portiques, des lambris d’or, des murailles décorées par la sueur des misérables et le travail des condamnés : la demeure du Dieu fait homme n’est point un de ces palais ou vous vous empoisonnez avec délices, pensant qu’il vaut mieux apercevoir vos toits que contempler le ciel. C’est dans un petit trou de la terre, dans une fissure de rocher, qu’est né l’architecte du firmament. Oh ! je crois ce lieu plus saint que la roche Tarpéienne, tant de fois frappée de la foudre, parce qu’elle est profane et odieuse au Seigneur.

« Lis l’Apocalypse de Jean, et vois ce qu’il dit de la femme vêtue de pourpre, au front de laquelle est écrit : « blasphème, » qui est assise sur ses montagnes et environnée d’eau. La reconnais-tu ? Comprends-tu aussi cet ordre du Seigneur : « fuyez du milieu de Babylone, car elle est devenue le domicile des démons ? » Je ne veux certes point déprimer l’église où sont les trophées des apôtres ; mais l’ambition, la puissance, la grandeur de la ville, la nécessité de voir et d’être vu, de saluer et d’être salué, de louer et de critiquer, d’entendre parler sans cesse, de voir toujours des foules de monde, tout cela l’a gâtée, tout cela oppose un obstacle insurmontable à la quiétude du vrai moine… On vous visite : si vous ouvrez, votre porte, adieu le silence ! si vous la fermez, vous êtes des orgueilleuses. Rendez-vous la politesse due au monde : vous vous acheminez vers les palais des grands, vous traversez une cohue de valets insolens au milieu de caquetages méchans ou grossiers ; enfin vous franchissez les portes dorées, et l’œuvre de la médisance commence. Chez nous, tout est simple, tout est rustique : on ne parle que psaumes ; aucun mot frivole ne vous distrait. Le laboureur chante l’Alléluia en conduisant sa charrue ; le moissonneur, couvert de sueur, se rafraîchit en entonnant un psaume, et c’est encore David qui fournit la chanson du vigneron occupé à tondre sa vigne. Voilà la poésie de ce pays-ci, ses chants d’amour, la flûte de ses bergers, l’amusement de ses paysans.

« Oh ! quand viendra le temps où un courrier hors d’haleine nous apportera cette bonne nouvelle : votre Marcella vient d’aborder en Palestine ! quel cri de joie dans tout le chœur des moines, dans tout le bataillon des vierges ! On ne pourra nous arracher à cet embrassement si longtemps souhaité. Le jour ne luira-t-il donc pas où nous entrerons ensemble dans la caverne du Christ, où, penchées sur le sépulcre divin, nous pleurerons avec une sœur, nous pleurerons avec une mère, où nos lèvres s’attacheront près des siennes au bois sanctifié de la croix, où, sur le mont des Oliviers, nous sentirons s’élever nos désirs et notre âme dans l’ascension du Sauveur ? Ne vois-tu pas sortir de la tombe Lazare emprisonné dans