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naissent périodiquement pour détendre une situation, pour être plus libéraux que ceux qui les ont précédés, et où ils cèdent bientôt aux mêmes entraînemens pour aboutir aux mêmes résultats d’impuissance et d’irritation ; elle montre surtout ce fait instructif pour l’Espagne comme pour bien d’autres pays ; que quand on s’est bien débattu, quand on a bien accumulé les difficultés par les erreurs et les inconséquences, le libéralisme est le grand remède invoqué pour sortir d’embarras et dénouer momentanément des complications naissantes. C’est là, à tout prendre, l’histoire du dernier ministère Narvaez qui vient de tomber inopinément, — pas aussi inopinément pourtant qu’on le pourrait croire. Le ministère tombe, cela est bien clair, sous le poids de ses inconséquences et de ses fautes. Que la reine ait eu l’idée, il y a quelques jours, de choisir tel personnage plutôt que tel autre, le comte Ezpeleta plutôt que le marquis de Novaliches, pour en faire un majordome du prince des Asturies, ce ne peut être là évidemment que le prétexte, la raison apparente ; la vraie et sérieuse cause est dans les complications que le ministère s’est plu à amasser autour de lui, dans un affaiblissement moral qui s’est développé en proportion même des déviations de sa politique. Certes jamais ministère en Espagne n’était venu au monde plus naturellement, sous de plus encourageons auspices et dans des conditions plus favorables pour faire face à une situation confuse et embarrassée. Le cabinet Narvaez, si l’on s’en souvient, avait eu la bonne fortune d’apparaître comme un pouvoir libéral et réparateur. Il arrivait avec toute sorte de promesses de conciliation et de tolérance, les mains pleines de générosités pour la presse. Il n’avait qu’à suivre cette voie avec la fermeté d’un bon vouloir résolu et modéré ; il y aurait certainement trouvé la sécurité et la possibilité de surmonter tous les embarras avec l’appui des esprits libéraux, qui l’attendaient à l’œuvre, et le concours du pays rassuré et satisfait.

Qu’est-il arrivé cependant ? Cela a duré le temps d’une lune de miel. Les déviations ont commencé ; le cabinet Narvaez s’est laissé dériver vers cette incohérente situation dont l’expression criante a été cette échauffourée puérilement sanglante du mois d’avril, au-devant de laquelle il est allé légèrement en voulant à tout prix bannir un jeune professeur de sa chaire, en destituant le recteur de l’université de Madrid, — recteur qu’un collège électoral a relevé pour le renvoyer comme député au congrès. Voilà le chemin qu’a fait en peu de temps ce ministère. Il était né pour concilier, pour apaiser, et depuis quelques mois il n’était question que d’agitation révolutionnaire, de conspirations nouvelles. À l’origine, il affirmait et il attestait par des actes sa bonne volonté pour la presse, — et il y a peu de jours il proposait une loi établissant tout simplement la censure préventive. Il se promettait de réorganiser les finances de l’Espagne, et tout récemment il ne trouvait rien de mieux qu’une émission de titres par laquelle il grevait la dette publique de 1 milliard 400 millions de réaux pour avoir 600 millions. Il s’adressait dans les premiers temps aux esprits libé-