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une partition de maître de chapelle ou de bourgmestre en vacances qui n’eût offert plus d’intérêt à un public de nos jours que cette pauvre berquinade avec son orchestre tout en violons qu’on prendrait pour l’orchestre de la Comédie-Française raclant son petit menuet de Pleyel dans un entr’acte. Si c’est de la sorte que le Théâtre-Lyrique s’imagine honorer d’illustres noms, je me demande comment il s’y prendrait pour les vouer au ridicule. Ce n’est plus le Mendelssohn de l’histoire que vous avez devant les yeux, l’archaïste par excellence cherchant son avenir dans le passé des Bach, des Haendel, le psalmiste des oratorios d’Elias, de Paulus, le romantique ému, transfigurant les créations du fatalisme classique au souffle rédempteur de l’art chrétien moderne, mais une manière d’écolâtre benêt, de philistin transcrivant Haydn et Mozart sur ses cahiers de corrigés ! Et quelle plèbe, juste Dieu ! Le public qui jadis fit les beaux soirs de la Jambe de bois ou la Piété filiale, ce public momifié lui-même trouverait cela assommant. On vous dit : « Si vous voyiez la pièce allemande, c’est encore bien plus ennuyeux, bien plus déplorable… » Jolie consolation en vérité ! Plus ennuyeux, je doute que ce soit possible, mais non certes plus déplorable, car au moins la pièce allemande a son excuse dans la peinture telle quelle de mœurs qui ne sont point les nôtres, dans la naïveté idyllique d’un sentiment que nous pouvons ne pas comprendre, tandis que dans cette Lisbeth une fausse prétention à la littérature remplace toute bonhomie ; ce n’est pas une traduction, c’est une charge, et la pire des charges ou la meilleure, comme on voudra, celle qui se fait sans qu’on y pense. Essayez un peu de porter cet aimable petit chef-d’œuvre aux Bouffes-Parisiens, qu’on l’y représente selon les usages et traditions de l’endroit, et vous verrez quel succès de cascade, quel fou rire vous obtiendrez avec toute cette pleurnicherie I Je ne regrette qu’une chose, c’est de voir un talent tel que Mme Faure-Lefebvre se dépenser à pareils jeux. On sait comme ces rôles de jeune villageoise vont à sa jolie taille, avec quelle intelligence, quel goût elle les habille, les compose, les rend. Dans l’Épreuve de Grétry, vous diriez un Greuze. Ici la fine pointe d’ironie a disparu, à Margot succède Gretchen. Et dans la manière dont elle dit sa romance en sol mineur, que de grâce, de style ! quel charmant dialogue que celui de sa voix avec le violoncelle ! Il n’y a au théâtre œuvre si méchante qui ne se puisse entendre une fois. Je ne conseillerai certes à personne d’aller voir Lisbeth ou la Cinquantaine, mais ceux que leur étoile y conduirait rendront cette étoile moins mauvaise en écoutant chanter Mme Faure, et peut-être aussi en portant attention au morceau symphonique qui relie le deuxième acte au premier. Cet intermède instrumental, qui partout ailleurs chez Mendelssohn passerait inaperçu, tranche ici tellement sur la pauvreté du fond, qu’on se sent presque ravi d’aise à ces quelques mesures de musique pittoresque décrivant le passage de la nuit au jour. Il est évident que tout le monde ferait cela, et M. Félicien David, dans son tableau musical du