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honnêtes gens qui veulent que je les préfère à vous dans mon estime, ô Paula et Eustochium, écrivait-il dans son épître dédicatoire du commentaire de Sophronie, ces gens-là ne connaissent pas plus la Bible que l’histoire grecque ou romaine. Ils ne savent pas qu’Olda prophétisait quand les hommes se taisaient, que Débora vainquit les ennemis d’Israël lorsque Barach tremblait, que Judith et Esther sauvèrent le peuple de Dieu. Voilà pour les Hébreux. Quant aux Grecs, à qui faut-il apprendre que Platon écoutait disputer Aspasie, que Sapho tenait la lyre à côté d’Alcée et de Pindare, que Thémiste professait parmi les savans de la Grèce ? Et chez nous, Cornélie, la mère des Gracques ! et la fille de Caton, l’épouse de Brutus, devant qui pâlissent et l’inflexible vertu du père et l’austérité de l’époux ! ne les comptons-nous pas parmi les gloires de Rome ? — Il faudrait des livres entiers pour raconter tout ce qu’il y eut de grandeur chez les femmes. »

L’achèvement des constructions mit fin, quant aux amies de Jérôme, à cette vie de pieuse érudition, qui n’était pour elles qu’un délassement : un autre labeur, d’autres devoirs commencèrent alors, ceux d’une direction monastique. Paula déploya dans ces obligations nouvelles une constance opiniâtre et une fermetés qu’on eût pu croire incompatibles, soit avec la douceur de son caractère, soit avec la mollesse de sa vie mondaine. Le premier monastère fut bientôt rempli, puis le second et le troisième successivement. La petite troupe de vierges romaines amenée par Eustochium avait servi de noyau aux communautés, et il s’y était joint rapidement une multitude de filles et de veuves, les unes riches, les autres pauvres, accourues de toutes les parties de l’Orient, celles-ci pour trouver du pain près d’une femme riche et bienfaisante, celles-là pour partager la gloriole d’un grand nom et recevoir la règle d’une descendante des consuls romains et des rois de Lacédémone. Ces dernières, qui voulaient faire étalage, se présentaient souvent avec un cortège de suivantes ou d’eunuques : Paula ferma la porte à toute cette valetaille. Chacun devait se servir soi-même et servir le couvent : elle en donnait l’exemple aux autres. Non-seulement elle se mettait aux gros ouvrages, mais elle était la première à prier comme à surveiller. Quoique astreintes à la vie cénobitique, les recluses travaillaient et mangeaient séparément, mais elles faisaient l’oraison en commun. C’était au chant de l’Alléluia qu’on se réunissait ; aucune ne pouvait rester alors dans sa cellule, la règle était absolue. On chantait tout le Psautier de suite à tierce, à sexte, à none, à vêpres et à minuit. Toutes les sœurs étaient tenues de le savoir par cœur et d’apprendre chaque jour quelque chose des Écritures. Ces exercices se pratiquaient dans les chapelles des couvens, où d’ailleurs on n’offrait point le saint sacrifice, Jérôme ayant