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gnage par une moitié de vers hexamètre ? Et que dirais-je des docteurs de l’église ? Ils sont tous nourris des anciens qu’ils réfutaient… Ces grands hommes avaient appris de David qu’il faut arracher le glaive des mains de l’ennemi, et couper la tête du superbe Goliath -avec son propre poignard. Ils avaient lu dans le Deutéronome ce précepte du Seigneur : « Vous raserez la tête de la femme captive, vous lui enlèverez les sourcils, vous lui couperez les ongles, et vous la prendrez pour épouse… » Et que fais-je donc autre chose lorsqu’amoureux de la sagesse antique, admirant le charme de sa parole et la beauté exquise de ses traits, je la rends servante et captive, pour en faire une israélite ? »

Entre toutes les études sacrées, sa préférence se porta sur l’hébreu : c’était une inspiration de son récent voyage et un moyen d’en appliquer les fruits. Il avait entendu trop souvent les Juifs se moquer de ceux qui voulaient commenter leurs livres sans savoir leur langue pour ne pas désirer leur fermer la bouche ; puis un moine d’Orient, nommé Sophronius, était venu l’aiguillonner. Ce moine, homme de parfaite bonne foi, disputant un jour avec un Israélite, se mit à citer un verset de psaume d’après les Septante. « Ce n’est pas cela, s’écria l’interlocuteur en l’interrompant ; l’hébreu porte tout autre chose ! » Et en effet on était obligé d’avouer que la version des Septante, admise comme type de l’Ancien Testament dans la chrétienté orientale, exigeait une révision sévère. Sophronius, tout interdit, vint trouver Jérôme et lui raconta sa déconvenue. « Ce serait, ajoutait-il, rendre un grand service au christianisme que de faire d’après l’hébreu une traduction dont les Juifs ne pussent pas nier la fidélité ; à Jérôme, qui en avait le pouvoir, en incombait aussi le devoir, et pour lui, Sophronius, il se chargeait de mettre la traduction de Jérôme du latin en grec, ne doutant point qu’elle ne fût adoptée sans hésitation par les églises d’Orient. » L’entreprise était sainte et glorieuse ; elle tenta le solitaire de Bethléem, qui l’accomplit en partie. Sophronius de son côté ne manqua point à sa parole, et l’Occident eut le rare et suprême honneur de voir une interprétation grecque de la Bible, puisée, chez un auteur latin, remplacer dans beaucoup d’églises d’Asie le texte consacré des Septante.

C’était un rude et difficile labeur pour lequel Jérôme eut besoin de plus d’un maître, car dans l’Ancien Testament, composé de tant de livres, divers d’objets et écrits à des époques différentes, les styles, les dialectes, la langue elle-même, changent souvent d’un livre à l’autre. Chaque rabbin distingué de Tibériade ou de Lydda s’adonnait particulièrement à tel dialecte ou à tel ouvrage dont il approfondissait l’étude : c’est à ces assistances spéciales que recour