Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/1039

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

véniens du système. Et d’abord, comme le disait si bien l’autre jour M. Sainte-Beuve, « il est naturellement interdit aux vertueux de se proposer eux-mêmes ; » ils ne sont pas admis à présenter leurs titres. Il faut qu’ils soient l’objet d’une sorte de désignation publique et spontanée. Alors tout le monde s’y met, ceux qui connaissent une bonne action pour la raconter, le maire pour attester, le préfet pour confirmer, les membres de l’Académie pour vérifiée et peser. Il n’y a que le lauréat qui ne sait rien ou qui est censé ignorer ce qui se prépare, jusqu’au jour où son nom retentit à l’Académie et entre dans cette légende dorée des braves gens couronnés pour leur vertu. Depuis que cette légende se fait, bon nombre de noms inconnus y ont pris place, et bien des membres de l’Académie en ont été les collaborateurs. Pour les récompenses destinées à l’esprit, c’est toujours M. Villemain qui en est l’élégant et ingénieux rapporteur, qui a la mission de justifier les choix de l’Académie en faisant au besoin la part de la critique et de l’éloge. Pour les prix de vertu, chaque académicien à son tour est chargé de ce bulletin de victoire de l’honnêteté contemporaine. C’est M. Sainte-Beuve cette année qui, pour la première fois à l’Académie, se trouvait appelé à ce rôle attrayant, quoique un peu embarrassant, de rapporteur des actions vertueuses, et par la coïncidence imprévue d’un hasard complaisant l’auteur des Causeries du Lundi se trouvait pour la première fois appelé à ce rôle au moment où il venait d’être promu au sénat. Ce n’était plus seulement un simple écrivain ou même un simple académicien, c’était un personnage ayant la toge, et le discours de M. Sainte-Beuve a réussi tout comme s’il n’était pas le discours d’un sénateur.

M. Sainte-Beuve a réussi à l’Académie l’autre jour, comme il réussit d’habitude, par la finesse, par la pénétration Ingénieuse, par l’habileté des nuances, par la justesse des tons et des aperçus, même peut-être un peu par cette modération à demi sceptique, quoique respectueuse encore, qui ne se laisse pas Imposer par les grands mots de philanthropie et de vertu. Je ne sais si je me trompe, M. Sainte-Beuve avait à résoudre un problème qui n’était pas des plus faciles : il avait à parler de toutes ces actions auxquelles s’adressent les couronnes de M. de Montyon, sans partager absolument les illusions de cet homme de bien et de son siècle, avec un tour d’esprit aussi peu fait que possible pour glisser dans les illusions banales et les fausses sensibilités, en homme qui, au cours de ses études, a eu souvent l’occasion de prendre la mesure de la race humaine, qui, même quand il s’agit de la vertu, répète encore : « Oh ! que le vrai en bout genre demande de l’attention et de la précaution pour le bien démêler ! » Et c’est là justement le mauvais pas, le pas difficile d’où M. Sainte-Beuve s’est tiré avec habileté, avec finesse, sans diminuer la valeur d’une fondation généreuse, et sans paraître aussi trop sacrifier aux chimériques confiances d’une philanthropie inefficace. M. Sainte-Beuve est le modèle des distributeurs de prix de vertu qui ne sont pas dupes de leur rôle d’un moment. C’est là, j’ose le dire, la saveur de son dernier discours, de ce discours qui